Et elle se passe comment, la rentrée littéraire, au rayon science-fiction ? Plutôt pas mal, pour une fois, avec une flopée de bons titres dont le maousse Les Deux mondes de Neal Stephenson (Sonatine) ou, prochainement, le second volume de la saga The Expanse de James SA Roley, bientôt sur vos écrans (Actes Sud). Et puis, il y a l’un des rares géants (en termes de ventes) du milieu : Robert Charles Wilson, avec une triple actualité dans des collections plus traditionnelles : un roman, Les Derniers jours du paradis (Denoël), un recueil de nouvelles, Les Perséides (Le Bélial) et une réédition poche, Julian (Folio SF).

Si on s’arrête sur Les Derniers jours du paradis, c’est parce que Wilson semble y atteindre une certaine perfection formelle. Dans un rayon qui voit fleurir les pavés en plusieurs tomes, celui-ci est court (340 pages) ; Wilson n’en gâche pas une ligne, allant à l’essentiel avec un sens de l’économie affûté par 20 ans d’écriture (et un succès mondial, rappelons-le : Spin). Sur une Terre qu’on découvre peu à peu uchronique, l’humanité vit en paix depuis la Grande Guerre 14-18 ; mais un petit nombre de personnes soupçonne que quelque chose cloche. Pour Cassie et sa famille, le soupçon prend une forme tangible en la personne (façon de parler) des « simulacres », êtres en apparence semblables aux humains, mais qui saignent un épais liquide vert. Et ont une fâcheuse tendance à assassiner des universitaires et des chercheurs.

Dans ce polar efficacement mené qui emprunte aux codes du fantastique (on pense aux classiques de Jack Finney ou John Wyndham), Wilson engage une réflexion sur la nature de l’intelligence et, corollairement, sur celle d’éventuelles espèces extra-terrestres. Car il n’est pas dit que ces dernières se présentent sous forme de sociétés aux membres individualisés et conscients ; il y a même fort à parier que l’intelligence, comme effet de complexité, soit essentiellement aveugle, et que celle de l’ « Hypercolonie » qui maintient la paix sur Terre pour ses besoins, comme celle de la ruche ou de la fourmilière, agisse sans cet accident de l’évolution qu’est la conscience de soi. Si une telle super-intelligence gouvernait la Terre à son insu, assurant une paix perpétuelle au prix d’un contrôle subtil de l’information, faudrait-il la détruire ? C’est l’une des questions, cruciales, que pose ce roman mené de main de maître, d’un néo-classicisme bluffant.