Hasard du calendrier : quelques semaines après Martin Page et ses confessions sur sa vie d’écrivain, un autre jeune romancier français, Jean-Baptiste Gendarme, se lance dans le dévoilement des coulisses, sur un ton plus comique, dans l’esprit de l’excellente revue Décapage qu’il anime. Splendeurs et misères raconte ce que vit le jeune type (ou la jeune fille) qui, comme des centaines de coreligionnaires à travers l’Hexagone, caresse des ambitions littéraires et saute le pas : l’envoi du manuscrit, l’attente fébrile des réponses, le premier contrat, la signature du service de presse, les premiers articles, les salons du livre, etc. C’est léger, bourré d’informations, souvent drôle (portrait-robot du jeune homme littéraire : « L’écrivain a des relations amoureuses compliquées, il fuit sa famille et n’a confiance qu’en lui-même et en sa garde rapprochée – des jeunes gens tristes et seuls aux ambitions similaires »), truffé de confidences piochées dans des interviews de ses confrères. Une bonne phrase ? « Rappelons que la principale activité d’un éditeur n’est pas de publier, mais de refuser de publier ». Un reproche ? Page 25, Gendarme explique que « seuls de rares réussissent l’exploit d’entrer en littérature avant 22 ans », puis il balance une liste de noms en ajoutant qu’on peut « l’allonger à l’envi ». C’est donc qu’ils ne sont pas si rares ! Un bon point : outre Gide, Chevillard ou Christian Gailly, il cite aussi Mes meilleurs copains, l’admirable comédie de Jean-Marie Poiré, pour le personnage d’écrivain incarné par Christian Clavier. Un type qui connaît aussi bien ses classiques ne peut pas être mauvais. Entretien express avec un passionné, version longue de notre papier paru dans Chro, le hors-série.

Un bon demi-millier de romans sortent en septembre et octobre. Comment voyez-vous ça ?

Avant de publier mon premier roman, j’attendais avec impatience la rentrée. J’étais un lecteur des suppléments littéraires et je cherchais en librairie ce que la presse recommandait. Depuis, j’ai publié, mais je reste un lecteur, sans doute plus averti, et comme tel, la rentrée littéraire reste un moment stimulant. Même si il y a un côté « coup de balai » : on a l’impression qu’avec ces nouveautés, on nous dit « lâchez votre livre, il ne vaut plus rien, lisez le dernier roman de machin ». Comme si la littérature n’existait pas avant septembre. C’est aussi un moment où la littérature est au centre de l’attention. On en parle au JT, on suit des auteurs dans des reportages… Ce qui est très bien pour la littérature.

Et comme auteur ?

Comme auteur, je n’ai jamais participé à la rentrée de septembre. (Mon dernier roman est paru en janvier, autre rentrée littéraire.) Je pense surtout aux autres auteurs, en fait. De très bons romans vont passer inaperçu, écrasés par d’autres. Des livres oubliés, sacrifiés.  C’est très difficile une rentrée littéraire, même vue de l’extérieur ! Les projecteurs ne peuvent éclairer tout le monde. La rentrée devient une course cycliste : il y a un meneur qui doit gagner (un prix littéraire ou des lecteurs par milliers), on lui adjoint des coureurs de fonds ou des étoiles filantes pour l’accompagner. Évidemment, comme en littérature rien n’est écrit, chacun peut prendre la place de l’autre et il y a chaque année de bonnes surprises.

« C’est très difficile une rentrée littéraire, même vue de l’extérieur ! Les projecteurs ne peuvent éclairer tout le monde »

Pourquoi dévoiler les coulisses de l’édition dans Splendeurs et misères ?

J’ai toujours été passionné par le milieu éditorial. Je voulais raconter ce que c’était de publier un livre en 2014. Le livre s’adresse à tout ceux qui ont un manuscrit dans un tiroir. D’après les sondages, 17% des Français, ce qui fait 2,5 millions d’écrivants ! Les maisons reçoivent toujours plus de manuscrits. Souvent, quand je rencontre des aspirants écrivains, ils demandent : comment envoyer son manuscrit ? Comment choisir sa maison d’édition (alors que c’est la maison qui choisit l’auteur) ? Est-ce que je peux gagner ma vie en publiant ? J’avais rencontré quelqu’un qui travaillait dans la finance et qui voulait absolument publier un livre pour ne plus travailler. J’ai essayé de l’en dissuader. En vain. Mais le livre peut aussi intéresser ceux qui ont déjà publié. Je me suis aperçu que beaucoup ignoraient le fonctionnement de l’édition. Qu’est-ce qu’un représentant ? La différence entre distribution et diffusion ? Quid du pilon ? Comment lire son contrat ? L’épreuve du salon littéraire (c’en est une pour les primo-romanciers)… Toutes ces étapes de la vie de l’auteur.

On dit souvent percer pour un inconnu serait impossible, que les dés sont pipés, etc. Légende ou réalité  ? 

Justement, ce livre dit tout l’inverse ! J’essaie de montrer que l’envoi par la poste est possible, que les manuscrits sont lus. Même si on peut se plaindre qu’on publie trop, rappelons que la principale activité d’un éditeur n’est pas de publier mais de refuser de publier. Gallimard reçoit 6000 manuscrits par an. Le Seuil, 5000. P.O.L, 3000. Et on voit sans cesse des romans envoyés par la Poste qui deviennent des succès, comme le Fakir du Dilettante ou le Liseur du 6h27 au Diable Vauvert.

Grand fantasme autour du monde littéraire : l’argent. Vit-on de sa plume, en 2014 ?

J’avais rencontré quelqu’un qui travaillait dans la finance, cette personne voulait absolument publier un livre pour ne plus travailler. J’ai essayé de l’en dissuader, en vain. Dans l’imaginaire, encore aujourd’hui, l’écrivain échappe au quotidien. Alors que 2% des auteurs vivent de leur plume… Un jour, Genet dit à Jouhandeau en lui rendant un manuscrit qu’il aimerait désormais gagner honnêtement sa vie grâce à la littérature. Jouhandeau répond : « Vous savez, la littérature ne nourrit pas son homme, il vaut mieux garder un second métier ». Quelques mois plus tard Genêt écrit à Jouhandeau : « Monsieur, j’ai suivi votre conseil et je me retrouve en prison pour vol. Pourriez-vous m’envoyer des colis ? »

« Avec “Décapage”, on essaie de démontrer que la littérature n’a pas dit son dernier mot. Et qu’en plus, la littérature peut être drôle »

Comment se porte votre revue, Décapage ?

Quand j’ai créé Décapage, je ne lisais pas de revues littéraires : elles me semblaient austères, sérieuses, elles donnaient l’impression de s’adresser surtout au comité de rédaction. Depuis 2001, on essaie de démontrer que la littérature n’a pas dit son dernier mot. Et qu’en plus, la littérature peut être drôle. On travaille beaucoup sur le paratexte, des illustrateurs talentueux égayent nos pages. Beaucoup de nos lecteurs ne sont pas lecteurs de revues littéraires ; ils sont lecteurs, tout simplement. Il y a plusieurs parties dans Décapage, chacun y pioche selon son envie. Grace à Flammarion [qui édite la revue, ndlr], nous tenons notre cap. Chaque numéro est une gageure. Nous préparons en ce moment le n°51, avec notamment un thème sur les prix littéraires et l’autoportrait littéraire de Pierre Michon. Un document rare !

Avez-vous jeté un œil au programme de la rentrée 2014 ?

Oui, bien sûr ! Pour la revue, je me tiens au courant. Beaucoup d’auteurs que je suis depuis longtemps publient en septembre. Il va y avoir du monde ! Je pense à Emmanuel Carrère, Laurent Mauvignier, Nathalie Kuperman, Benoit Duteurtre, Patrick Deville, Frédéric Beigbeder… Des plus jeunes comme Oscar Coop-Phane ou Thomas Vinau. Et puis je suis curieux du premier roman de Nelly Kaprièlian, qui s’occupe des pages littéraires aux Inrocks et qui, en 2007, dans un édito intitulé « Tous romanciers », s’en était prise aux journalistes-critiques qui publiaient un roman et félicitait ceux qui comme Josyanne Savigneau du Monde, Nathalie Crom (Télérama) et Marie-Laure Delorme (JDD) ont eu « l’élégance de ne pas commettre de roman ». Il sera difficile de savoir ce que vaut son livre en lisant la presse : qui osera critiquer le roman de cette critique si influente? Reste donc à le lire…

Splendeurs et misères de l’aspirant écrivain, de Jean-Baptiste Gendarme (Flammarion)

 

Crédit photo : Astrid di Crollalanza / Flammarion