Puisque Nizam est Antigone, elle doit mourir. Reste à savoir comment, dans cette plaine aride du nord de l’Aghanistan où elle se tient seule devant l’avant-poste américain installé sur les vestiges d’un avant-poste russe, sur la cariole à roulettes qui remplace ses jambes disparues.

Nizam, Antigone en burqa, fille pashtoun venue réclamer le corps de son frère Youssouf, tué à la tête d’un raid punitif en réponse à l’attaque d’un drone qui, quelque part dans la montagne, a entraîné la mort d’un village réuni pour une noce. Dommage collatéral.

La sombre silhouette de la jeune femme au milieu de la plaine est l’élément perturbateur pour les soldats stationnés sur la base, épuisés par des semaines de veille et de conflit, et qui viennent de subir un assaut meurtrier. Cette figure féminine cristallise les doutes et les angoisses. Un attentat suicide, un cheval de Troie, une ombre, une martyre, une sainte ? En restant sans rien faire qu’attendre devant les murs de la base, elle force leur inquiétude autant que leur admiration.

Joydeep Roy-Bhattacharya réécrit un temps du conflit afghan passé au filtre du mythe grec. La tragédie, Homère, Créon, les anciens Grecs sont son fil rouge. Pour être sûr que personne ne passe à côté, il cite Sophocle en exergue et intitule Antigone le premier chapitre de ce roman choral. L’ensemble est un peu téléphoné, et on est en droit de se demander si la référence au mythe était indispensable. Ceci mis à part, les sept voix qu’il anime pour faire le chœur des récitants gardent toute leur puissance.

Une Antigone à Kandahar est un texte sur l’inutilité de la guerre, sa vanité, sa désolation. Une belle et triste histoire, un huis clos sur la plaine, comme un désert des Tartares d’où, forcément, surgira le pire : « La première fois que j’ai vu Tarsandan, j’ai cru être arrivé à l’extrémité du monde. J’ai pensé à la vallée de la Mort, dans le Nevada, mais en pire. A présent je ne remarque même plus à quel point c’est désertique. Quarante-huit degrés. La terre blanchie jusqu’à n’être plus qu’une croûte sèche, d’un blanc osseux. Pas un souffle d’air mais de la poussière et du sable partout. »

Le constat des soldats enfermés qui écoutent la musique de Nizam s’élever dans la nuit est amer. Ils sont venus pour aider un peuple à se libérer ; ils découvrent qu’on les considère au mieux comme des brutes, au pire comme des envahisseurs. Evidemment, le fossé culturel est infranchissable, malgré les rares efforts d’un côté ou de l’autre. Dans leurs voix qu’on entend après celle de Nizam, chœur lancinant, fatigué, si fatigué et rageur, affleure la folie. « Nous sommes des visiteurs. Notre place n’est pas ici : nous ne sommes pas enfermés dans l’histoire locale, cette piteuse chronique d’échecs, cet avenir incertain. Cela rend d’autant plus essentiel que nous fassions ce que nous sommes venus faire, que nous le fassions vite et que nous partions. Que nous partions avant d’ête aspirés dans ce cycle d’échecs et de violence. Que nous partions avant de n’être qu’une tribue vaincue de plus. »

Le livre aurait sans doute gagné à plus de simplicité, à un lyrisme moins tapageur. Il n’empêche que Joydeep Roy-Bhattacharya donne ici un roman crédible sur cette guerre, transposable à bien d’autres. Et il semble important d’en entendre parler.

Traduit de l’anglais (Inde) par Antoine Bargel.