Canadien aux origines écossaises, irlandaises et indiennes, Joseph Boyden est un concentré de cultures. Il les met toutes à l’honneur dans Là-haut vers le nord, son premier livre (2002), un recueil de nouvelles passé un peu inaperçu au regard du succès qu’a connu son premier roman, Le Chemin des âmes (une fresque historico-indienne retraçant le parcours de deux Cree engagés volontaires pendants la Première Guerre, salué par une presse unanime). Pourtant, ces 13 textes méritent qu’on y jette un oeil ; si Boyden n’échappe pas toujours aux clichés, il livre une série de textes qui sonnent juste, témoignant d’une vie ailleurs.

Là-haut vers le nord raconte le quotidien d’indiens dans l’immense territoire de la Baie James, au nord de l’Ontario. Un pays désert, où la vie dans la réserve offre à la fois surprises, bonheurs, déconvenues. Boyden ordonne ses récits selon les quatre point cardinaux, auxquels il associe chaque fois un nom. L’Est, par où tout commence, rime avec Peine : une jeune fille tombe amoureuse de l’idée d’un loup, une mère de famille fatiguée se transforme le week-end en grande prêtresse du Bingo, un groupe punk rock féminin revendique ses racines. Pour ces histoires de mères, de filles, Boyden s’accroche à des voix féminines qui racontent leur quotidien. Puis le vent tourne au Sud, synonyme de Ruine : trois récits à nouveau, où sont mis en scène ceux qui ont voulu quitter la réserve pour rejoindre un monde qui n’est pas le leur, au sud, et qui ne saurait rien leur apporter de très positif. Clochardisation, errance, alcoolisme, perte de repères, tout est là, dans ce qu’on peut imaginer de la déchéance indienne. Ames perdues qui cherchent la rédemption, à moins qu’il ne soit trop tard, les personnages sont confrontés à la ruine de leurs illusions, qui ne tiennent pas face à la réalité des grandes villes. Et s’il n’est pas toujours trop tard, il arrive souvent que l’esprit égaré perde définitivement sa route. Cap plein Ouest ensuite, domaine de la Course : course avec soi-même, contre les autres. Là aussi les personnages des trois nouvelles sont confrontés à l’extérieur, mais ils restent en quelque sorte à l’abri, à l’intérieur de la réserve. Les luttes, ici, sont intérieures, sanctionnées par des victoires. Ne reste plus que le Nord, ce nord frontière des terres indiennes, le moment du Retour. Ici, un même récit est raconté selon quatre points de vue qui se complètent, autour du suicide d’une fille de la réserve partie étudier à la ville. Le texte culmine Le procédé d’une narration multiple est classique, mais il permet ici une mise en valeur particulière de ce dernier temps du recueil, qui acquiert ainsi une véritable profondeur et clôt remarquablement la variation sur un même thème de Boyden.