Les températures abyssales du Groenland auront au moins épargné une chose du gel : la prolifique imagination du Danois Jorn Riel, qui profita de l’expédition de Lauge Koch en 1950 pour jeter un œil sur le pays et qui, finalement, y resta seize ans. C’est de là qu’il nous a ramené sa délicieuse série des racontars arctiques, dont Gaïa publie aujourd’hui le sixième recueil (il a été écrit en 1986). Fictions tragi-comiques, aventures curieuses, contes concupiscents et anecdotes dont on aura quelques difficultés à démêler aujourd’hui la part de vérité, adroitement narrés par quelques personnages récurrents, qui en sont d’ailleurs les principaux héros, derniers trappeurs des glaces, aventuriers bourrus et sympathiques, au caractère solide et au parler vrai, compagnons truculents et bavards incorrigibles : Bjorken, Mads Madsen, le Comte, Anton, Lasselille, Valfred et le lieutenant Hansen, William-le-Noir et Fjordur…

Dans cette nouvelle livraison, on suivra les émouvantes aventures d’un obsédé échoué là sur la foi d’une rumeur mensongère, dans l’unique but de se faire régler le compas (sic : « Y’a aucune femme ici. Je croyais qu’il y en aurait des hordes. Là-bas en bas, on m’avait dit qu’y’avait pas femmes plus avenantes ni au sang plus chaud que les Groenlandaises, et qu’y’en avait partout, où qu’on se tourne. On m’avait dit qu’elles allaient jusqu’à rentrer chez vous par la fenêtre la nuit, et qu’elles faisaient la queue sur la plage à l’arrivée du bateau. Voilà pourquoi j’suis venu ») ; on constatera qu’il est peu de choses -sinon les jupons introuvables- plus enviées dans ces régions que la bouteille ; on verra la gloire littéraire naissante d’Anton (« Anton avait réussi à faire publier un de ses romans et, partant, n’était plus n’importe qui ») et l’étonnant périple pédestre qui s’ensuivra ; on saura enfin pourquoi Valfred, « aussi loin qu’on s’en souvienne, avait toujours eu du mal avec le moindre travail physique »…

Les racontars de Jorn Riel sont un régal. Son humour irrésistible, sa verve de conteur, son sens de la formule et l’idiosyncrasie délirante des membres de sa petite communauté polaire en font des perles d’humanité de nature à décongeler les plus asthéniques. De cette littérature d’exploits modestes et de légendes locales, d’épopées déraisonnables que traversent soudain mystères ou magie, en un mot de ces inimitables racontars se dégage une poésie d’une infinie tendresse et d’une extraordinaire drôlerie. A vous faire sauter la banquise.