Jon Raymond est le client parfait pour l’industrie du cinéma. Preuve : sur les neuf nouvelles qui composent Livability (v.o. ; pour la v.f., le titre devient Wendy et Lucy, avec promotion facilitée mais vraie perte de sens), deux ont déjà été portées à l’écran par Kelly Richardt sous étiquette film indépendant (du cousu main festival Sundance). Jon Raymond s’est vu immédiatement transformé en chef de file de la littérature Nord-Ouest américaine, version urbaine. Et force est d’admettre que la recette fonctionne plutôt pas mal. Outre un gros potentiel visuel (le cinéma n’est pas venu se servir par hasard), Raymond propose des personnages clairement définis, rapidement identifiables, et des histoires d’une très grande banalité, celles d’un quotidien fatigué mais à l’authenticité et au naturel plus vrais que nature. On ne vient pas chez Raymond pour trouver de l’intrigue haletante. Old joy et Wendy & Lucy, les deux nouvelles passées sur grand écran, racontent l’une une virée nature (deux hommes et un chien, un weekend en montagne autour d’une vieille amitié qui se délite), l’autre une ébauche de road trip (Wendy, en route dans sa vieille voiture pour une vie meilleure en Alaska, tombe en panne sur un parking de supermarché, perd sa chienne Lucy, et occupe tout le reste de la nouvelle à la chercher).

Rien de compliqué, donc, mais rien d’ennuyeux non plus. Raymond n’est pas du genre donneur de leçons, pas de morale ni de moralisation à chercher dans ses récits, pas de retour aux sources à tout prix, pas de nostalgie à outrance. L’essentiel réside dans la mise en mots de cette vie ordinaire, avec ses absurdités, ses silences, ses ellipses, l’Amérique souvent privilégiée par la littérature des marginaux, des sans-repères, des (formule oblige) « oubliés du rêve » offrant à l’auteur un terrain d’exploration quasi illimité. Cerise sur le gâteau pour lecteur assidu : le cinéma n’a pas déjà tout dévoilé et le recueil recèle quelques perles. Ce « Cochon de lait », pour n’en citer qu’une, où deux ouvriers mexicains ramassés sur un trottoir de Portland pour quelques travaux de jardinage sont conviés par un homme d’affaires florissant à partager un repas gargantuesque. Le concept de « livability » en prend un coup, la nature humaine n’en sort pas forcément grandie, mais le cochon de lait laqué gisant sur la table, à lui seul, vaut le détour.