Kevin Carmody est un héros naïf et légèrement déviant comme on en trouve parfois en littérature. Ballotté par des événements qui le dépassent, chahuté par des femmes tentatrices, instrumentalisé par les forces en présence, Carmody est comme le Candide de Voltaire, pleurnichard et révolté, catalyseur, bien malgré lui, des contradictions de son propre pays. « Les choses vont toujours de travers, c’est dans leur nature » : telle est la Loi de Carmody.
Rescapé des méthodes de traitement psychiatrique du Vieux Continent, Kevin Carmody revient en Australie pour enterrer sa mère, entre-temps canonisée par une congrégation de religieuses lesbiennes et déchaînées. Au nom du droit à offrir à sa mère une sépulture décente et soigner son Œdipe ému, Carmody se lance dans une croisade contre les forces triomphantes du capitalisme et de la foi.
La Croisade de Carmody est un livre peu sérieux, sauf lorsqu’il aborde la folie. Et cela est curieux, car de cet aspect du personnage, de son passage dans un asile britannique, on n’en saura guère plus que ce qui est dévoilé dans les premières pages. Pour le reste… Carmody est-il si fou que cela ? Si « l’affaire Carmody » prend un tour grotesque, c’est plutôt la faute aux religions, à la presse tabloïd, et aux agissements désordonnés de la CIA, toutes des caricatures. La Croisade de Carmody est donc un livre irrégulier, épileptique. John Tittensor crée des situations, les abandonne aussitôt, y revient parfois. De toute évidence, la forme a peu d’importance. Et c’est ce manque de sérieux qui, en définitive, affaiblit le propos. L’Australie de Tittensor, quoi qu’en disent les protagonistes qui dénoncent avec une certaine virulence l’ingérence américaine (cela est suffisamment rare pour être noté), c’est à peu de choses près la Californie de Fukuyama : l’atmosphère est bien à la fin de l’Histoire, dans ces rues au cordeau où défilent, parmi les maisons de bois aux « vertus banlieusardes paisibles », des groupuscules bataillant pour la défense d’intérêts honteusement particuliers. Au-delà de la satire et du grotesque, qu’a donc voulu dire John Tittensor ? Guère plus que cela, probablement.