Attention, livre fou. On a beau être habitué aux bizarreries, aux auteurs imprévisibles, aux récits en roue libre, on reste pantois devant l’ambition de John meurt à la fin, qui place très haut la barre du n’importe quoi permanent. A l’image de la bizarro-fiction américaine, dont certains titres (on pense à Satan Burger, non traduit) peuvent soutenir la comparaison avec l’ovni présent, le projet littéraire de David Wong semble se réduire à un impératif unique : écrire ce qui lui passe par la tête, sans savoir où il va, privilégier ce qui semble impossible, malvenu, et de mauvais goût. Lire John meurt à la fin, c’est consentir à monter dans le train d’un grand huit psychédélique que personne ne conduit, et dont les rails apparaissent au fur et à mesure (quand ils apparaissent) ; l’équivalent littéraire d’un buvard de LSD, avec les mêmes inconvénients – on ne garantit pas que vous allez aimer tout ce qui se passe, et cela peut paraître un peu long.

On vous résume ? David raconte tout au long du livre à un journaliste la vie de chasseur de fantôme qui est devenue la sienne et celle de son pote John. Tout a commencé quand un Jamaïcain volant lui a fait prendre une drogue appelée « sauce soja », qui a la propriété de faire voir d’autres dimensions et/ou d’autres points du temps, mais aussi de donner la parole aux chiens, ou de téléphoner à travers des hot-dogs. Cette sauce semble être le véhicule par lequel une sorte de monstre à la Cthulhu essaie d’envahir notre réalité… On arrête là, le reste est vraiment incongru. Prenons un paragraphe au hasard. Tenez, page 194. « Imaginez cinquante mille hommes coincés sur une île déserte, privés de nourriture, d’eau et de sexe, mais maintenus en vie pendant cinquante mille ans. Puis, une fois que leurs tourments les ont poussés bien au-delà de la folie, au-delà de l’automutilation et du cannibalisme, quelqu’un balance une sculpture de femme à poil faite en entrecôtes. Si vous arriviez à enregistrer le bruit des hommes en train de la niquer, la bouffer et la déchirer en petits morceaux, puis à diffuser ce son dans votre crâne à dix mille watts, ça ne serait toujours rien à côté de ce que j’entendais» Faites-nous confiance, tout est à l’avenant.

David Wong est, paraît-il, rédacteur en chef de cracked.com, « site humoristique » qui ne nous a pas arraché un sourire. Force est de constater que sous son nom de plume, il est d’une drôlerie autrement redoutable, et d’une inventivité sans borne. On peut le voir comme un mélange de Lovecraft, William Burroughs et Robert Rodriguez, ou comme un reporter gonzo qui aurait forcé sur la drogue et qui écrirait un compte-rendu interminable. C’est assurément un divertissement pour cœurs bien accrochés, et l’objet pop le plus déviant de l’année.