Après un premier roman devenu culte (le best-seller Football factory, « meilleur livre jamais écrit sur le foot et la classe ouvrière » dixit Irvine Welsh en personne) et une confirmation dont on garde encore un souvenir hilare (l’excellent La Meute), John King achève avec cet épais Human punk sa trilogie consacrée à la société britannique des années 70 à nos jours. John King ? Une sorte de Jonathan Coe qui n’aurait pas eu la chance de fréquenter les bancs du collège, un banlieusard entre les mains duquel le hasard a mis un stylo plutôt qu’une guitare électrique, un enfant du rock chez qui les piles de disques des Clash et des Vibrators ont longtemps fait office de bibliothèque et qui continuent de nourrir son univers et sa façon de voir le monde. De livre en livre, ce vieil adolescent londonien (il est né en 1960), pur produit de la classe ouvrière de l’Angleterre fin de siècle, cherche à construire un univers littéraire avec les outils que lui ont donné son environnement et son histoire, loin des classiques et de l’aristocratie culturelle : comme l’explique sans cesse son narrateur, « l’école ne nous apportait rien. Le punk, c’était ça notre éducation, les paroles qui reflétaient ce qu’on vivait, visaient droit dans les choses qu’on voyait, pensait, les mots des gens qui avaient droit à notre respect parce qu’ils écrivaient de l’intérieur sur l’extérieur, et non pas de l’extérieur, comme la plupart du temps. Pour nous, des gens comme Rotten, Strummer, Pursey et Weller étaient les plus grands auteurs, ceux qui produisaient une littérature qui nous parlait de nos vies. » Bref, King affiche à la fois la couleur et la méthode : Human punk parlera de l’Angleterre d’en bas et donnera la parole à ceux qui y vivent, y triment, y draguent, y font la fête et s’y enquillent des litres et des litres de bière brune dans des pubs surchauffés en parlant filles, musique et Doc Martens à dix oeillets.

Slough, grande banlieue londonienne, 1977 : bienvenue dans la vie de Joe, petit punk de quinze ans qui passe ses vacances d’été à suer dans un verger pour se faire de l’argent de poche et à le dépenser aussi sec avec ses copains dans les troquets du coin. Comme dans La Meute, King excelle à camper une bande de petites frappes parfaitement attachantes et irrésistiblement sympathiques malgré leur habitude de balancer des pavés dans les vitrines et de se faire dérouiller par des bandes rivales à la sortie des soirées. 200 pages durant, il brosse le tableau (largement autobiographique, on l’imagine) de leur quotidien de futurs chômeurs insouciants, entre galères et délires, énièmes cuites et premières filles ; le temps de l’innocence prend brusquement fin lorsque Joe et son pote Smiles se font tabasser par un groupe de loubards et balancer du haut d’un pont dans un canal gelé. Joe s’en sortira, Smiles y laissera ses neurones. La deuxième partie du livre (assurément le plus ambitieux de l’auteur) nous transporte 10 et 20 ans plus tard, dans le futur imprévu d’un narrateur qui n’arrive pas à oublier ses années punk. On part avec lui en Chine avant de revenir à Londres, où il se réconciliera enfin avec son adolescence et relèvera la tête vers l’avenir, « en gardant les yeux ouverts, comme tout le monde. »

Si John King arrive à transcender l’univers dont il se réclame (le rock et la culture prolétarienne anglo-saxonne) et à en tirer un petit bijou de roman, c’est parce qu’il sait qu’il ne suffit pas d’aligner trois scènes de défonce et cinq noms de groupes pour créer un univers (c’est d’ailleurs ce qui le différencie des ersatz français de la « génération ecstasy » des 90’s) : avec ses personnages aux idiosyncrasies bien trempées, leurs péripéties racontées avec tout l’impact d’un style vif et percutant et, aussi, son humour imparable (encore que la tonalité générale soit beaucoup plus mélancolique que dans La Meute), Human punk ne fait pas honte à son dédicataire, le grand Orwell. Peinture sans fard de la Grande-Bretagne post-industrielle (sans le pittoresque agaçant qu’y mettait un Jonathan Coe dans Bienvenue au Club), roman « de classe » au sens où King prend franchement son parti, mais aussi roman d’apprentissage et plongée dans les mécanismes des réflexes de violence, ce pavé, totalement attachant malgré un brin de nostalgie parfois trop appuyée, est une perle de fiction réaliste. Une fois achevé, rangez-le entre Anarchy in the UK et Nevermind the Bollocks plutôt qu’entre une Pléiade et un dictionnaire. God Save the King !

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