« J’aime l’idée que nous entrerons ensemble dans la postérité, tout comme nous avons vécu », écrivit un jour John Cowper Powys à son frère cadet, Llewelyn Powys. « Nous » ? Les Powys au grand complet, s’entend, soit onze frères et sœurs issus, à la fin du dix-neuvième siècle, de la féconde union d’un pasteur anglican et de son honorable et sévère épouse : parmi eux, sept publieront au moins un livre, et trois peuvent être tenus pour des écrivains de tout premier ordre, voire pour des génies purs et simples. Quelques passeurs enthousiastes s’acharnent depuis des décennies à faire connaître et reconnaître les œuvres de cette extraordinaire famille (à part les Brontë, on ne lui trouvera probablement pas d’équivalent) sur nos côtes et ailleurs : Henri Fluchère, qui traduisit Theodore Francis Powys chez Gallimard dès les années cinquante ; Jean Wahl, qui compare carrément John Cowper Powys à Proust et Dostoïevski ; George Steiner, qui le tient pour l’un des plus grands maîtres de la langue anglaise du siècle ; Gaston Bachelard, qui déclarait en apprendre plus dans ses romans que dans les livres des psychologues ; Patrick Reumaux, enfin, qui fréquente les écrits des Powys depuis nombre d’années et, d’éditeur en éditeur, s’efforce de les offrir aux lecteurs français. C’est à lui que l’on doit, chez Phébus, l’importation du monumental roman historique de John Cowper Powys, Owen Glendower, mais aussi celle du splendide L’Amour, la mort de Llewelyn et de quelques indispensables nouvelles du plus secret et insaisissable de tous, Theodore Francis Powys.

Il propose aujourd’hui une quadruple entrée dans l’univers des Powys avec ces Scènes de chasse en famille réunissant en un volume unique des textes de quatre membres de la fratrie : John Cowper, l’aîné génial, contemporain (et égal) des Joyce et des Lawrence ; Llewelyn, le cadet tuberculeux, qui ira d’Angleterre en Amérique pour mourir dans les montagnes suisses ; Theodore Francis, le sédentaire, qui prendra racine dans le Dorset et y écrira ses contes pervers en lissant son énorme moustache nietzschéenne dans un presbytère à l’abandon ; Philippa, enfin, que l’on découvre pour la première fois en français avec son recueil de poèmes Bois mort (Driftwood), dont Reumaux compare le « ton » à celui des Brontë, « des poèmes mal fichus, écrits à la diable par un démon pressé de noter dans l’urgence, et telles quelles, les impressions qui se bousculent dans le vent ou l’orage ». De John Cowper, on lira les poèmes du recueil L’Aconit (Wolfsbane), écrit en 1916, soit deux ans après sa première incursion en littérature et un an après son premier roman, Wood and stone ; de Llewelyn, un long texte méditatif (plus exactement cosmologique, anthropologique et éthique) en prose, Ardente Argile (écrit en 1930, dont il explique lui-même qu’il est « comme un appel de trompette à la jeunesse, quelque chose comme un Livre de Poche du Diable ») ; de Theodore Francis, enfin, trois nouvelles sadiques et bucoliques de sa façon, dont se régaleront les lecteurs des recueils Dieu et Le Capitaine Patch.

Aux inconditionnels de John Cowper Powys, on conseillera encore la réédition en poche de L’Art de vieillir (1944), l’un de ses nombreux essais, encore que le mot ne soit guère pertinent pour définir ces textes de réflexion aussi peu dogmatiques que possible, pleins d’un bon sens parfois naïf et de recettes d’art de vivre d’une étonnante simplicité : comme Novalis, John Cowper était convaincu que « le bonheur a sa méthode ». Savoir vieillir ? Une question déjà traitée par (et jamais mieux traitée que par) Cicéron, selon l’écrivain, qui disserte longuement sur le rapport du corps (vieillissant) à l’esprit (parfois rajeunissant), l’oeuvre de la nature et la perspective de la mort. Celle par opposition à quoi Henry Miller, dont Powys fut « la première idole vivante », pouvait qualifier son œuvre monumentale de véritable « livre de vie ».