Le texte claque, sobre et efficace. Trois mots plantent le décor, imposent une ambiance. C’est Washington telle qu’on ne la voit quasiment jamais. Et pour cause : quartiers déshérités, combats de chiens, trafics d’armes, de drogues, de blanches. On est loin du Capitole et des longues avenues qui bordent les ambassades ; on est dans l’autre ville, celle où il est dangereux de pénétrer non accompagné. Les codes sont différents, des frontières invisibles marquent les territoires des gangs, l’intimidation est de rigueur, l’argot fuse. George P. Pelecanos reste dans la lignée de ses précédents écrits : son monde, c’est la rue de Washington. Il la connaît parfaitement et le prouve. La ville est noire, le crime omniprésent, le silence difficile à briser. Tout se paye est une gifle infligée à ceux qui voudraient fermer les yeux.

Après Blanc comme neige, on repart dans cette nouvelle histoire avec Derek Strange et Terry Quinn. Derek dirige une petite agence d’enquêtes, essaie, à 50 ans, de réguler sa vie sentimentale, et entraîne l’équipe de foot américain des gamins du quartier. Terry, la trentaine, blanc, a quitté la police après avoir tué un de ses équipiers. Vendeur en librairie, il seconde Strange à l’occasion, quand les affaires sont top nombreuses. C’est le cas : une association qui recherche des fugueuses mineures, généralement échouées dans les réseaux de prostitution, fait appel à lui. Mais la routine est brutalement brisée : un des enfants de l’équipe de foot est massacré alors qu’il se trouve avec son oncle, petit voyou notoire victime de ses magouilles. Strange, ébranlé, décide de se consacrer entièrement à l’affaire, qu’il veut résoudre avant la police. Il découvre alors que les choses sont bien plus complexes que prévu : faire justice tout seul n’est pas si simple qu’il y paraît. Quinn, lui, est coincé jusqu’au cou dans de sordides histoires de prostitution et cherche à régler ses comptes pour pouvoir changer de vie et prendre le possible nouveau départ qui s’offre à lui. Tous deux vont s’acharner à démontrer que même dans ces quartiers là (à moins que ce soit surtout dans ceux-là), tout se paye.

Sans aucun manichéisme, Pelecanos tire les ficelle d’un petit monde où tous les trafics s’entremêlent, où les lointaines figures des caïds font régner la terreur, où le moindre faux-pas peut-être fatal. Pas de fausse pudeur, pas de morale au rabais. Le texte prend tout son poids grâce à la justesse des dialogues, à la richesse et à la diversité des portraits qui se succèdent. On sent presque l’odeur de cette rue, on entend son brouhaha permanent. C’est un signe qui ne trompe pas.