Jim Grimsley est un habitué des prix littéraires, lesquels couronnent à peu près tous ses romans depuis Winter birds, en 1994. C’est tout sauf un hasard : il raconte à merveille son pays et ses blocages, avec des mots simples, directs, vrais. Ses thèmes : des familles plutôt pauvres qui déménagent (entre deux boulots du père la plupart du temps), ces régions du sud des Etats-Unis, leur religiosité et leur puritanisme bien-pensant. D’ailleurs, quand Grimsley raconte ses origines, il évoque Raleigh, en Caroline du nord, « une ville qui vit encore aujourd’hui avec au moins vingt ans de retard ». Un endroit qui, sans doute, ressemble à s’y méprendre à la ville où se déroule Dream boy, perdue au milieu des champs, avec ses églises et ses communautés religieuses, où tout se sait, où tout le monde connaît tout le monde, où la rumeur enfle vite, où on pense ne pouvoir garder aucun secret. Grimsley y met pourtant en place l’inimaginable : un amour homosexuel et, presque plus acceptable, plus ancré dans les mœurs, une violence crasse, la pire qui soit, cachée derrière le masque d’un fanatisme vertueux et d’un péché réprimé qui ne demandent qu’à exploser. Démontant les figures habituelles du tabou social, il dévoile en vrac ces poncifs et ces absurdités d’un monde qui semble paralysé. Avec brio.

Le roman s’ouvre sur un sermon du dimanche. Nouvelle église, nouvelle maison, nouvelle école, nouvelle vie : encore une fois, la famille de Nathan s’est installée là après un énième départ devant le mal qui la ronge, un père alcoolique, fanatique et violent, qui, réfugié dans les Ecritures et le whisky, abuse de son propre fils dans le secret de sa maison. Voilà pourquoi Nathan, quinze ans, se faufile le plus discrètement possible entre ses parents pour disparaître, se faire oublier. Surdoué trop discret, il ne peut même plus regarder sa mère, écrasée par le poids de sa lâcheté, de son impuissance, de sa culpabilité. Par contre, il regarde Roy, son voisin, le grand qui conduit le bus de l’école. Furtivement, puis plus franchement, il devient son ami, puis son amant, avec tout le poids du péché qui peut se rattacher à l’homosexualité dans une petite ville de campagne enfermée dans ses traditions d’un autre âge. Avec, surtout, tout le poids du silence, ces mots martelés sans cesse : « Tu ne dois pas en souffler mot à qui que ce soit. Tu ne dois pas faire ça avec un autre que moi. C’est bien entendu ? ».

A aucun moment, Dream boy ne joue la complaisance. Quel que soit le sujet abordé, l’angle choisi est toujours pudique et juste ; pas un mot ni une phrase de trop pour raconter l’horreur et le mépris de l’autre, immuables. Pour ça particulièrement, Dream boy est un grand roman : quelques pages d’une simplicité biblique pour raconter les sentiments humains, peur, tentation, honte, amour, désir. De l’humain brut. Effroyable, émouvant, parfois magnifique. Et toujours vrai.