Manny Ruppert, l’ex-flic, toxico repenti, mais toujours monté comme un âne, d’A poil en civil (Rivages / Noir n°647) n’a pas trop le choix s’il veut garder le taudis qui lui sert à dormir les fesses au sec, il est engagé par un vieux juif pour gagner la confiance d’un vieux boche sénile. Problème n°1, gross papy, quatre vingt dix sept balais au compteur, est détenu à San Quentin, la pire prison de Californie, incarcéré pour délit de fuite après un banal accident de la circulation. Problème n°2, l’ancêtre travaille pas mal de la casquette, vu qu’il prétend être Joseph Mengele, « L’Ange de la mort » d’Auschwitz, qui ne serait donc pas décédé renversé par un char du carnaval de Rio en 1979 comme on le croyait, et qui clame haut et fort comme quoi doc est un grand scientifique qui peut encore faire de grandes choses au service de l’humanité, comme (par exemple) libérer l’Amérique de la décadence et de la corruption du multiculturalisme.

Affublé d’une couverture tellement élimée qu’on voit la télé à travers (animer un atelier de prise de parole sur les méfaits de la drogue), Manny replonge la tête la première dans les ennuis en cascade. Contre toute attente, la piste du petit vieux nazi n’était pas si facile à remonter le fil d’une histoire tarabiscotée comme pas permis, qui partait dans tous les sens à la moindre occasion. Copieux, le roman aligne ses 500 pages bien tassées (au moins 100 de trop), le rythme s’en trouve un peu ralenti, tellement qu’on a parfois l’impression que la lecture recule au lieu d’avancer, c’est très étrange. Romancier à la cool et de bon goût (lire aussi Perv, une histoire d’amour, chez l’éditeur 13° Note) et scénariste cinéma & TV pour Les Experts, Twin Peaks et Alf, la marionnette poilue extraterrestre bouffeuse de minous, Jerry Stahl nous avait pourtant confié avoir définitivement tourné la page de la dope, mais Anesthésie générale (Pain Killers, 2009) ne donne pas le sentiment d’un mec complètement clean, les yeux bien arrêtés en face des trous. Certes, l’intrigue foutraque réserve quelques jolis moments de littérature yiddish, il y avait à boire et à manger dedans, et on apprenait plein de détails sympas sur des trucs essentiels qui nous permettraient de briller en société, comme l’« Aryan Land Sharks », les sex toys chrétiens, comment voler des médicaments et saviez-vous que Ilsa, la louve des SS avait été tournée pendant les week-ends dans les décors désertés de la série Papa Schultz ?

Du fond de sa cellule, Joe Mengele se lamente. Coquin de sort, les charmes de la pneumatiques Dyanne Thorne le laissent de marbre : « Ilse, n’était pas du tout comme ce… ce personnage. Les Américains ignorent notre travail. C’est une insulte permanente (…). Vous avez toujours tout faux. Les femmes avec des bottes de cuir… arhhh !
– Moi, j’ai rien du tout contre les femmes avec des bottes de cuir. (… ) Qu’est-ce que c’est qui vous embête ?
– En dehors du fait que des dégénérés ont perverti l’idée la plus noble du vingtième siècle et en ont fait une connerie masturbatoire ? L’ont réduit à une dominatrice avec son fouet, habillée en SS ? Est-ce que c’est important ce qui est tatoué sur le cul d’une pute avec un chapeau de la Gestapo ? On est en Amérique ! Les films sado-maso avec des nazis, ce sera peut-être la seule leçon d’histoire qu’ils auront de toute leur vie ».