Femme de ménage en hôtel, Louise Wimmer vit dans sa voiture, roule sous la pluie en écoutant Nina Simone, siphonne les réservoirs de super, gratte un ticket au pmu, s’attendrit devant une collègue qui lui rappelle sa fille. Il suffirait pourtant qu’elle accepte de revenir avec son mari qui a tout, maison et grosse voiture. Mais elle reste digne et refuse obstinément. Quand tout va mal en France, deux travers possibles pour son cinéma : faire rentrer de force le bonheur dans les crânes (La Guerre est déclarée), ou bien étaler la misère dans d’impudiques exhibitions – et c’est, sur le papier, cette dernière voie que Louise Wimmer semble d’abord emprunter. Or l’ambitieux programme du film de Cyril Mennegun consiste précisément à zigzaguer, sans les toucher, entre les écueils de la sinistrose naturaliste. Ce qu’il ne réussira malheureusement pas toujours.

Si dans son ensemble le film parvient à rester à flot, c’est surtout grâce au magnifique personnage de Louise, ainsi qu’au regard à la fois juste et pudique porté sur lui par le cinéaste. Scrutée d’au plus près, Louise finit presque par se retrouver séparée du contexte, celui-ci ne faisant alors que se déduire (dans les meilleurs moments du film) de strictes questions d’espace, de temps, de lumière. Dans Louise Wimmer, la misère tient principalement à deux problèmes : comment habiter les volumes, comment tenir sur la durée. S’imposer, résister : Louise possède une force d’endurance, une faculté de contraction physique que Corinne Masiero, visage tout en muscles pincés, admirable de dureté et de contention, parvient superbement à transmettre. Si Louise s’abîme malgré tout, c’est dans la voix rauque, la courbe du dos, mais aussi dans la couleur, le teint, une sorte de grisaille environnant toujours les yeux, les dents, la chevelure. La couleur passe, le muscle tient : cette rectitude, cette fermeture isolent le personnage d’un ensemble social plus vaste et l’empêchent, prouesse du film, de devenir un prototype. Mennegun travaille la question sociale à même le corps de son personnage, préfère à la facilité de l’épanchement le geste expansif (Louise danse, tournoie sur elle-même), la puissance de voix et d’humeur (ses poussées de colère). La rudesse de Louise Wimmer sert au film de garde-fou, en même temps qu’elle constitue son intérêt principal.

Mais le cinéaste ne lui fait pas suffisamment confiance, et trop souvent dilue Louise dans de tristes saynètes qui donnent à voir ce que sans elle, le film aurait été (cf. par exemple les altercations avec l’impitoyable patron, avec l’inflexible conseillère, aussi expédiées que manichéennes). Plus généralement, et en dépit même du travail sur le personnage pour en diminuer la portée, la charge qui pèse sur les épaules de Louise est toujours sursignifiée (foisonnement de problèmes, obstacles, abandons, acharnement obsessif du sort) – et lorsqu’à la fin il s’agira pour l’héroïne d’aller habiter en HLM, le film se renverse formellement d’un extrême à l’autre (Louise est ivre de joie, baignée de lumière) avec la plus totale des désinvoltures. Quoiqu’il en soit, malgré ses défauts Louise Wimmer est une réussite en son genre, et peut également s’enorgueillir de la présence de la sublime Marie Kremer, qui parvient, en seulement deux ou trois apparitions, à marquer durablement l’esprit.