A ceux qui craignaient que la réunification ressuscite en Allemagne de vieux démons et réveille sa « volonté de puissance », Jens Sparschuh propose, comme remède à leur inquiétude, l’histoire amusante de Lobek, velléitaire inoffensif occupé essentiellement à fuir ses responsabilités et à s’isoler dans sa subjectivité égoïste et fantaisiste. Durant trois années chômées il s’était employé à poursuivre son aimable épouse de soupçons d’adultère et à consigner dans un carnet tous les indices de sa prétendue infidélité, se vengeant d’elle notamment en rebaptisant à son insu, Hasso vom Rabenhorst, leur chien, du nom de Vendredi. Mais Lobek a de plus vastes projets. Saisissant l’occasion décisive d’un horoscope encourageant, il se résout à répondre à une offre d’emploi. Une entreprise ouest-allemande fabricant des fontaines d’appartement cherche un représentant pour se lancer à la conquête de l’ex-R.D.A. Son directeur, un illuminé notoire, engage Lobek, voyant dans ce taciturne énergumène, le V.R.P. du futur. Lui-même découvre dans ces produits insolites une dimension philosophique et sociale : « les fontaines d’appartement n’étaient pas un produit quelconque. Leur léger clapotis opposait un « non » à la frénésie de la société. Et leur message était : Arrête-toi ! Calme-toi, la vie s’écoule… »
On retrouve avec plaisir, dans Lobek, le caractère déroutant et comique des personnages de Jean-Philippe Toussaint, bouleversés ou indignés par des détails insignifiants, mais affichant en revanche une complète indifférence face aux événements importants qu’ils rencontrent. Et si l’effet du roman de Jens Sparschuh est assurément comique, son auteur prenant le parti de l’ambiguïté et de la nuance, il laisse apparaître au fil du texte une tonalité dramatique. Il met progressivement l’accent sur la profonde détresse d’un homme incapable de communiquer, enfermé en lui-même comme un naufragé sur une île déserte.