Oscillant entre le rêve et la réalité, Château perdu s’impose dès les premières lignes comme le roman le plus inactuel du moment. Porté par une langue imagée, authentique appropriation du récit épique, à la fois aventure esthétique et métaphysique, il relève du mythe. Dans l’Italie des condottieri, un cavalier – Le Cavallino – retourne en son village après avoir guerroyé. Témoin privilégier des combats, il cherchera, mais en vain, à conter à ses amis ce qu’il y a vu : la mort, la beauté, et la dame aimée, dont la Laure de Pétrarque est un proche modèle. Revenu d’un lieu secret, il observera sa chute inéluctable à travers les attitudes de ses semblables, peu enclins à l’écouter.
« On ne voulait pas le croire, nous autres, et pourtant, ce qu’il nous racontait nous plaisait tant beaucoup qu’on l’écoutait et qu’on en redemandait. On écoute bien ce que dit le mourant, pas vrai ? Et pareillement du mort. Car tout le monde sait que le mort nous parle encore, de veille, de nuit, longtemps après qu’il a passé. Et quand il vient juste de mourir, quand il est à la limite, ce qu’il nous dit dure un temps, un temps… Un temps à secrets, à replis très obscurs, très longs à défriper, et qui scintillent, caressent l’œil, suavement, lentement… Ça n’est plus du temps. Ça ne cessera jamais. » Ce langage parlé, ce langage naturel, n’est plus l’ambition des romanciers depuis plus de deux siècles (sauf chez Céline, qui y réussit fort bien). Avec Jean Védrines, l’instrument autant que les intentions restent à la mesure de son ambition : ne jamais lasser le lecteur tout en l’emmenant dans des contrées qu’il n’a pas l’habitude de fréquenter, et qui sont celles du songe. Son livre méritait un éloge. Ni plus, ni moins.