En septembre 2004, Jean-Paul Dubois publiait Une Vie française, ambitieux et admirable roman dans lequel il intriquait l’histoire d’un héros « comme tout le monde » nommé Paul Blick avec l’histoire de la France contemporaine, des années 1950 à nos jours. En septembre 2006, il publiera un nouveau roman qui, si l’on en croit des sources « proches du dossier », ne manquera pas d’ambition lui non plus. En guise de récréation, il nous offre donc Vous plaisantez, monsieur Tanner, petit roman de passage d’à peine deux cents pages dans lequel on n’ira pas chercher autre chose que le divertissement succulent mais sans prétentions excessives pour lequel il se donne. Le sujet ? On peut le résumer en quelques mots : Paul Tanner hérite de la jolie bâtisse de son tonton, revend sa propre maison pour payer les travaux de réfection et entre dans la spirale infernale des artisans incompétents, des maçons véreux, des électriciens fous, des devis dépassés, des rendez-vous non honorés et du foutage de gueule sous toutes ses formes. « Les pièges de cette aventure se sont refermés sur moi et m’ont totalement anéanti », explique-t-il dans une rapide « mise en garde » liminaire. « Les événements ici rapportés se sont déroulés sur plusieurs années », lit-on également ; sur la quatrième de couverture, l’éditeur présente le livre comme le « récit véridique d’un chantier », donnant ainsi à cette fresque des horreurs du bâtiment le lustre du vécu et la petite valeur ajoutée qu’apporte l’idée que Jean-Paul Dubois, qui s’est effectivement lancé dans la rénovation d’une maison toulousaine avec les royalties de sa Vie française, a bel et bien eu à supporter les épouvantables tourments que nous raconte son personnage.

A ce dernier, rien n’est épargné. Couvreurs imprudemment embauchés au noir, aussi compétents que des enfants de quatre ans et fainéants comme les animaux du même nom ; électriciens mystiques qui installent des chapelles miniatures dans les pièces où ils travaillent ; plombier amoureux du travail bien fait et humiliés à vie par une petite fuite ; artistes authentiques égarés dans la peinture en bâtiment ; corps de métiers qui se haïssent entre eux ; artisans débordés qui jouissent du pouvoir exorbitant dans lequel ils tiennent le quidam affolé par un toit qui s’écroule… Tout le roman se résume finalement à une succession de saynètes drolatiques et de portraits irrésistibles, servis par le style efficace et les formules chocs d’un Dubois qui, tout en insistant autant qu’il le peut sur le désespoir réel que ressent son héros à plusieurs reprises, ne sort finalement jamais du registre de la comédie douce-amère et de l’anecdote amusante. Quelques rares passages infléchissent le texte du côté du drame, comme lorsque les deux couvreurs délinquants du début volent à Paul la moitié des outils qu’il a hérités de son père et qu’il chérissait comme la prunelle de ses yeux : miraculeusement, Dubois parvient à émouvoir avec le sort d’une scie sauteuse, d’une scie circulaire et d’une tronçonneuse électrique, témoignant par ailleurs à de nombreuses reprises d’une authentique passion artisanale et poétique pour le travail du bois et du fer, la richesse du vocabulaire et l’étendue des connaissances dont il fait preuve sur ces sujets ne contribuant pas peu à l’intérêt et au charme du livre. Inutile d’en dire plus : on aura compris que cette excellente comédie, plus riche qu’il n’y paraît sans chercher à paraître plus riche qu’elle n’est, se lit avec plaisir et s’impose comme l’achat complémentaire inévitable après toute visite dans un magasin de bricolage ou d’outillage.