Peu de temps après la parution aux éditions de la Différence d’un livre dédié à l’affaire Pilorge, Le Bourreau et son assassin, il était de bon ton de relancer une publication du Condamné à mort et autres poèmes. Maurice Pilorge n’a que vingt ans quand le couperet de la république s’abat sur son cou fraîchement rasibus. La nouvelle heurte Genet avec la violence d’un coup de foudre. Son enfance et celle de l’assassin avaient un point commun : la maison de redressement qui devint plus tard, quand ils en eurent l’âge, la prison. S’ils sont condamnés pour des délits identiques de mauvaises conduites, de vols, de cambriolages, ils y sont toujours pour des périodes différentes et ne se croisent qu’au regard des graffitis qui maculent les murs des chiottes.
Contrairement à ce que nous laisse croire ce superbe recueil, Jean Genet n’a jamais connu personnellement Maurice Pilorge, le condamné à mort. Aussi, si la question a quelque importance, à quelle réalité se rattachent des mots comme ceux-là : « Chaque matin, quand j’allais, grâce à la complicité d’un gardien ensorcelé par sa beauté, sa jeunesse et son agonie d’Apollon, de ma cellule à la sienne, pour lui porter quelques cigarettes, levé tôt, il fredonnait et me saluait ainsi, en souriant : ‘Salut, Jeannot-du-matin !’ » ? A quelle réalité autre que cette prise de conscience soudaine comme la foudre d’une flamme si bien léchée, d’une consomption suprême jusqu’à l’édification d’un martyr. Cela ne fait pas de doute pour Genet, l’échafaud était à sa taille. « Il fut digne d’avoir le bénéfice d’une telle mort ». La société n’avait rien de plus grand à lui offrir que son propre sacrifice. Ce destin tragique est sublime, si bien que lorsque Jean Genet découpe la photo de Maurice Pilorge, prise le jour de son arrestation, il se trouve en face d’une beauté si pure, qu’elle prend l’aspect d’une brèche vertigineuse dans l’univers, qu’elle prend sur le mur de sa cellule, la fonction d’une ouverture parfaitement livre.
Cette ouverture se mesure à une inspiration géniale qui semble venir de cette figure emblématique, et couler à flots. Le Condamné à mort en est le fruit, mais aussi les autres poèmes où les références au condamné sont omniprésentes. Pilorge est là, cristallisé par les vers et l’amour. Le condamné à mort n’est pas un simple thème récurrent, il est un dieu dans une cosmogonie secrète, la mélodie d’un chant dont Genet s’est fait le héraut.