Un roman ayant pour sujet l’humanitaire peut rebuter les amoureux de la littérature et de cette forme qui s’appuie généralement sur la fiction pour nous emmener dans un autre univers que celui de l’information. Car il est convenu de parler d’un côté de « témoignage » et de l’autre de « divagation poétique ». Lorsqu’un écrivain décide de mélanger les deux registres, il lui faut une certaine humilité et surtout une grande habileté pour que le premier ne prenne pas le pas sur le second.

Jean-Christophe Rufin a participé à de nombreuses missions humanitaires en Afrique. Il a choisi comme toile de fond de son nouveau roman le secours d’une population. Les Causes perdues, autrement intitulé « Journal d’Hilarion », raconte la terrible famine de 1985 en Ethiopie et les difficultés rencontrées par une équipe de Français choisissant de passer par l’Erythrée avant de se baser dans la région d’Asmara. Le narrateur n’est pas, comme on aurait pu l’imaginer, l’un d’eux, mais Hilarion Gregorian, Arménien d’Afrique, spectateur curieux et amusé par ce qui se déroule sous ses yeux. Il se lie d’amitié avec le responsable de la base arrière, Grégoire -d’autant que celui-ci lui rappelle son fils mort accidentellement sur une route. Personnage encore influent, trafiquant d’armes à la retraite, il se sent revivre au contact de Grégoire, et se surprend même à jouer un jeu à la fois protecteur, possessif et machiavélique.

Jour après jour, il nous livre ses impressions, raconte les avancées et les échecs des occidentaux courageux et naïfs, persuadés de ne faire que du bien à la population locale, sans imaginer qu’ils sont manipulés par une dictature soucieuse de réguler la population. Bref, ce récit n’a rien à voir avec un simple reportage sur une mission humanitaire. L’auteur possède l’art et la manière de mener une intrigue romanesque à la fois passionnante, pleine de sensibilité et chargée de sens. Son personnage central est profondément touchant et drôle. Se mettant à l’abri des sempiternelles récits de « techniciens » dénués de complexité et souvent manichéens à l’extrême, Jean-Christophe Rufin porte un regard singulier et attachant mettant en évidence les ambiguïtés de ce type d’actions.