Cet essai de Jean Carette s’attaque à l’un des sujets les plus rarement abordés dans nos sociétés occidentales actuelles : la manière dont les hommes et les femmes envisagent et vivent leur retraite et leur vieillesse. Difficile pourtant, malgré tous les efforts faits pour dissimuler à nos regards les malades, les vieux et les morts, de ne pas voir le nombre de plus en plus important, non seulement de personnes âgées, mais également de travailleurs encore jeunes et mis à la retraite avant l’âge légal. Retraite alors ressentie comme une mise en retrait de la société, comme une mise au rancart. Jean Carette n’en proposant pas d’explication, rappelons celle de Christophe Dejours (Souffrance en France) : de plus en plus d’entreprises licencient les salariés âgés précisément parce qu’ils représentent une part de la mémoire de l’entreprise -en particulier celle des luttes syndicales. Renouveler la main-d’œuvre est le moyen le plus pratique pour tenter d’imposer aux jeunes, à chaque renouvellement, des rythmes, méthodes, etc. refusés par leurs aînés.

Jean Carette milite donc logiquement pour que les retraités vivent leur retraite non comme un temps d’attente passive (de la mort) mais comme celui « d’une participation active et féconde aux grands mouvements de la vie collective ». Puisque les retraités d’aujourd’hui, selon qu’ils agissent ou subissent, modifient la manière dont les actifs d’aujourd’hui vivront leur retraite demain, c’est donc dans le lien intergénérationnel que Carette entrevoit la solution : en améliorant le présent des vieux, les jeunes préparent leur vieillesse ; en améliorant leur présent, les vieux préparent l’avenir des plus jeunes. Utopie ? Certainement. Parce que la société conditionne les regards. En particulier ceux des jeunes sur la vieillesse, ressentie comme le temps de la maladie et de la mort, le temps d’une lente agonie qui dure tout le troisième âge, et que l’on préfère ignorer (à l’aide de la majorité des valeurs à la mode, valeurs écrans à ces réalités-là).

Au-delà des propositions parfois trop utopiques de l’auteur, son essai a l’immense mérite de rompre avec les travaux habituellement publiés dans le champ de la gérontologie, où la vieillesse est analysée comme un état en soi, séparé des soixante ans de conditionnement qui la précèdent. En montrant que les vieux ont la vieillesse qu’ils ont préparée, le livre débouche donc sur la nécessité de changements radicaux à tous les âges. Tant que certaines valeurs ne seront pas inversées, les jeunes fermeront les yeux sur leur avenir et sur le statut des vieux, les vieux se laisseront faire. On regrettera néanmoins que les analyses et les propositions de Carette aboutissent à une vision souvent rigidement binaire, où le vieux ne se sauve que s’il est social. « Nous ne pouvons vivre notre avance en âge dans une réelle autonomie (…) que si nous prenons les moyens de changer la vie en société et d’écrire une histoire collective » ; « Face aux bouleversements et aux mutations de nos sociétés, nous ne pouvons rester ni insensibles ni inactifs, gaspillant notre temps et ignorant ou dilapidant notre expérience. » Rappelons à l’auteur qu’il est possible de vivre aussi sa vieillesse comme le temps, enfin, de la retraite… au sens justement de retrait espéré et choisi -le temps enfin de s’occuper de soi et de son jardin. Démission ? Sans doute. Mais est-il toujours souhaitable que ce soient ceux qui n’appartiennent pas au monde des entreprises ou aux arcanes de l’Etat (qu’ils soient retraités ou bénévoles) qui colmatent et réparent les excès des uns et les erreurs des autres ? A l’éloge de l’engagement doit pouvoir répondre, aussi, un droit à l’indifférence. On regrettera également que l’auteur se sente obligé de citer Mao, dont la politique prouve qu’il n’aurait guère hésité, confronté à une population âgée et improductive importante, à recourir à des formes, plus ou moins directes, d’extermination.

Saluons également un livre récent, Vieillesse et société : le rendez-vous manqué, de Hervé Marcillat (Editions Erès). Il dresse l’implacable constat de « l’approche strictement comptable de la bureaucratie gérontologique ». A travers une excellente analyse et de nombreux exemples, il démontre les conséquences, d’autant plus désastreuses qu’elles frappent des personnes souvent dépendantes et affaiblies, d’une politique (amplement confortée par les discours médiatiques) qui ne poursuit que des objectifs économiques au détriment de l’attention, du soin, et du simple droit au respect. Le spectre de l’euthanasie n’est pas loin.