Le propos développé dans cet entretien entre l’historien Jacques Le Goff et Jean Lebrun part d’un constat simple : la ville médiévale est plus proche de la ville contemporaine que nous connaissons aujourd’hui que de la ville antique à laquelle elle succède chronologiquement. Ainsi, les églises remplacent les temples et les morts ne sont plus repoussés aux limites de la ville, les cimetières sont au contraire intégrés à l’espace urbain.

La ville médiévale nous apparaît alors en continuel mouvement. Sur le plan de l’urbanisme, la ville évolue, sans cesse en chantier, témoignant d’un optimisme qui s’illustre par la construction de places et de bâtiments à caractère monumental, clochers, palais et cathédrales. Cet optimisme se révèle aussi par l’apparition de fêtes qui restent religieuses tout en étant typiquement urbaines. C’est ainsi que Jacques Le Goff nous décrit une ville caractérisée par sa créativité sur les plans tant culturel et intellectuel que social, particulièrement à partir du XIIIe siècle sous l’impulsion des universités, comme à Paris ou à Toulouse, et des ordres mendiants.
Cette créativité de la ville est le corollaire de son importance économique et commerciale. Cette situation favorise alors l’émergence d’une opinion publique et explique le mouvement d’émancipation des villes face aux seigneurs, souvent campagnards, et la volonté des puissants citadins de prendre en main les destinées de la cité avec l’apparition d’une caste de bourgeois. En arrachant progressivement des franchises aux seigneurs, après le pouvoir économique et le pouvoir culturel, la « révolution communale » permet à la ville de disposer d’un pouvoir politique.

La ville médiévale marque encore la ville contemporaine en bien des points. La fonction essentielle de la ville reste l’échange. Mais si en Occident les autres fonctions ont progressivement disparu (déruralisation au XIX° siècle, désindustrialisation au XX° siècle), celles-ci perdurent dans d’autres régions du monde, en Afrique ou en Asie. D’autre part, c’est au Moyen Age que se renforce le clivage entre ville, lieu de civilisation, et campagne ; et ainsi apparaît le processus d’aimantation de la banlieue par le centre qui fait tant débat aujourd’hui. Le boulevard périphérique a remplacé les remparts mais les passages rythment tout autant la journée urbaine. Et si la ville tend à perdre son centre, qui ne serait plus qu’historique, son développement n’en reste pas moins dicté, au-delà d’un problème de manque de place, par une volonté de prestige qui pousse vers le haut. La conquête de l’altitude illustrée par Manhattan n’est finalement que le prolongement des flèches, cathédrales et campaniles de la ville médiévale.

Benoît Giuliéri