Étonnant et réjouissant, cet essai s’ouvre par une charge d’une violence inouïe. Dans la farce philosophique à la mode, des cafés philosophiques jusqu’aux baudruches à la mine compassée qui flottent dans les eaux sales du bocal médiatique, « il n’y a pas d’intrigue originale. Tout est déjà dit par Bouvard et Pécuchet. » Les auteurs, l’un médecin et l’autre pharmacologue, se jugent « convenablement éduqués et conscients des impératifs de leur art […] pour évaluer l’illusion philosophale ». Très bien. Les cuistres et les pédants ricanent déjà, bien à tort, car ils en prennent plein les gencives. Au moyen d’un schéma volontairement réducteur et extrêmement efficace, les voilà replacés dans leur rôle légitime, celui de fabriquants de poudre de perlimpinpin. La science, s’il était besoin de le rappeler encore une fois à quelques philosophes, a établi que l’homme appartient indéfectiblement à l’ordre du vivant en général et frôle celui des primates en particulier, n’en déplaise à son rêve secret et bien tenace de déserter la biologie. À la différence des singes, il est doté d’un « fabuleux monstre neuronal intracrânien » qui lui permet cette spécificité de pouvoir communiquer de l’imaginaire par la parole. Voilà, l’essentiel est dit, vous pouvez deviner la suite…

Si la philosophie n’a pas progressé d’un pouce depuis Platon, s’arc-boutant sur la certitude naïve d’un logos tout-puissant et intemporel, la science, par son travail de recherche, a connu des progrès techniques et des développements qui ont eu, entre autres intérêts, celui de réduire dans le champ de la connaissance et de la pratique « le parasitisme des exploiteurs de l’à-peu-près et du bon sens ».
Le schéma anthropologique mis en œuvre est redoutable : trois registres séparés (le viscéro-somatique, le cognitif-opératif, et le sexuel-tribal) s’ordonnent en trois niveaux distincts (le conscient, l’imaginaire et l’inconscient). Tous les emmerdements sociaux-existentiels commencent lorsqu’on tente de les mélanger ou d’en faire frauduleusement l’économie, leur confusion étant le « passez-muscade » de tous les escrocs. Le registre sexuel-tribal qui nous fait proches cousins des singes comporte des contraintes absolues : « L’attrait tout puissant de la femelle séductrice dans la relation hétérosexuelle, la fatalité de la constitution de rapports de type dominant-dominé entre mâles de la même tribu ou de tribus concurrentes, les conduisent à établir un ordre hiérarchique de type homosexuel. Littéralement : « Qui est-ce qui met l’autre ? »

Au fil du survol (juste mais un peu scolaire) de l’histoire de la philosophie moderne, le ton se radoucit un peu, l’essentiel ayant été dit : « dégonfler les prétentions de ceux qui s’accordent le privilège de dire le vrai, loin de tout recours à l’expérience, grâce à la force logique du logos. » Dernier exemple remarquable, la « pensée » Comte-Sponville, grand philosophe du XXe siècle, qui prouve que les O.G.M. sont sans danger : « Vous pouvez manger du lion, vous ne deviendrez pas lion. Vous pouvez manger de la salade, vous ne deviendrez pas salade. Vous pouvez manger du lapin, vous ne ferez pas l’amour comme un lapin… » -cité dans Le Canard enchaîné du 22 septembre 99. Sans commentaires. Quant à la philosophie, elle reste au sens strict un exercice de liberté critique et de doute. Il est tout à fait bienvenu que ce soient des scientifiques qui le rappellent de temps en temps… Avec un peu de chance, certains crieront au scandale, ce qui prouvera que nos auteurs ne se sont pas trompés : la sinécure des intellectuels n’est pas un vain mot.