Avant même la lecture, le titre laisse à penser qu’il sera probablement question de bibliothèques, de rayonnages ployant sous les volumes, de documents enfouis où les secrétaires d’hier auraient consignés leur époque. On n’est pas très loin de la vérité, mais on n’imagine pas l’ampleur des thèmes qu’embrasse, dans une langue d’une rigueur presque solennelle, ce premier roman abstrait et labyrinthique où l’auteur recompose la mosaïque des livres « qui l’ont accompagnée ». Le Palais des archives, donc : un projet architectural et culturel invraisemblable imaginé par quelque civilisation disparue pour y recueillir et y ordonner les innombrables questions qu’elle se pose. Le savoir s’y donne en quelque sorte en creux, dans un monstrueux négatif de la Bibliothèque borgésienne. Autre temps : le narrateur s’enfonce dans le dédale de cette construction oubliée, découvre les enfilades de ses salles, les superpositions de ses niveaux, et s’immerge dans l’indescriptible univers des mots et du livre, hors de tout repère temporel ou spatial fixe, au gré des incessantes réminiscences littéraires qui ponctuent ce fascinant récit métaphysique. Le palais, enfin, sera découvert, dégagé, méthodiquement fouillé, archivé à nouveau, informatisé et détruit. Et Isabelle Van Welden, en moins de deux cents pages, de parcourir le cycle entier de la transmission du savoir dans un récit d’une grande abstraction qui recourt, lorsqu’il le faut, aux ressources du dessin et de la grammaire informatique ou « archivistique » (« Vous pouvez effectuer une recherche simple ou une recherche combinée » -l’auteur, est-il précisé, travaille depuis huit ans à la Bibliothèque Nationale de France).

On ne se risquera pas à dégager les lignes de force de ce texte monumental d’ambition tant semble immense la réflexion dont il forme le parcellaire résultat ; en émergent continuellement des fragments issus de son propre parcours de lectrice, de Kafka (son ombre plane sur tout le livre) à Mann, Malaparte, Buzzati, Pessoa ou Stevenson. Entre construction borgésienne floue et fable obscure et totalisante à la Saramago (Tous les Noms), Le Palais des Archives, qui n’aurait pas perdu en poésie à moins d’emphase (quand bien même la tonalité mythique choisie conduit naturellement cette austérité un peu empesée), semble interroger le fantasme de la connaissance absolue et sa conséquence, la bibliothèque parfaite. On pourrait alors le lire en métaphore de notre imaginaire rationaliste, pénétré de foi scientiste et progressiste, dans lequel l’humanité est censée suivre une progression asymptotique vers la maîtrise et le savoir total. Toujours plus de connaissances, toujours plus près de la vérité, croit-elle. Le maître tançant dans son rêve le narrateur serait alors une sorte d’idéal-type : « Vous ne savez pas tout ?… Alors vous ne savez rien ! Sortez ! »