Une certitude après la lecture de ce recueil de nouvelles : que la chair est triste ! De l’initiation sexuelle pour adolescents pré-pubères, aux déviances d’adultes, Ian McEwan brosse là une série de portraits au vitriol. Derrière un quotidien morne et banal, se cachent des pratiques perverses, des vices dissimulés, des fantasmes inattendus. Comment ces personnages en arrivent-ils à ces extrémités ? Peu importe. Ian McEwan ne donne pas d’explications, il constate seulement les excès, les frustrations et, en filigrane, scrute à la loupe ces débordements engendrés par une société en apparence lisse. Un thème, donc, relie la quasi totalité de ces nouvelles : l’amour (ou absence d’amour, c’est tout le problème) et son inséparable partenaire, le sexe.
A la manière d’un Bunuel, Ian McEwan nous installe dans cet univers malsain et dérangeant. Sans concession ni « précaution littéraire », il examine cette triste réalité : le « vert paradis des amours enfantines » n’existe pas, le mal est partout. On y verra un adolescent violant sa sœur de dix ans, un jeune homme abandonné, pour cause de légère difformité physique, harceler et tuer une fillette, un homme aliéné par l’amour excessif et infantilisant de sa mère, un autre tuer sa femme pendant l’ultime coït, un couple pratiquant le sadomasochisme, etc. Constat déprimant et amer, peut-être, mais qui ne laisse jamais place à quelques considérations psychanalytiques, à un quelconque pathos et autres propos mièvres et sentimentaux. Pourtant ces nouvelles, pour la plupart, s’achèvent tragiquement. C’est toute la force de ce recueil : une écriture neutre, objective, bannissant les effets littéraires, allant presque jusqu’à une observation clinique des situations. On ne relève aucune complaisance. Si les personnages sont des minables, leurs préoccupations le seront, leurs conversations aussi, et de fait les dialogues également !
Exemple : « Tu ne me parles plus. Tu te sers de moi comme d’un flipper pour marquer des points. » (p. 27, dans Géométrie dans l’espace). De plus, on est conquis par l’extrême efficacité de quelques nouvelles. Genre difficile -ce ne doit pas être un roman en miniature- qui suppose une grande maîtrise de la narration : dynamisme, création d’atmosphère rapide et diversifiée, progression interne énergique. Avec Sous les draps et autres nouvelles, le contrat est globalement rempli. On regrettera, cependant, l’inégalité du recueil. Certaines nouvelles sont assez décevantes et ne semblent être présentes que pour allonger la liste des bizarreries et vicissitudes de l’âme humaine. A force de vouloir percer et pénétrer les secrets honteux de notre monde, les personnages, parfois, manquent de crédibilité, et l’auteur de sincérité.