Hitonari Tsuji, chanteur, cinéaste et écrivain, s’est fait remarquer en France par ses romans : Prix Femina en 1999 pour Le Buddha blanc, critique unanime en 2004 pour En attendant le soleil, belle réflexion autour de l’identité, du rapport à l’histoire. Phébus propose aujourd’hui un recueil de nouvelles. Sans repères de lieux auxquels se raccrocher, très intemporelles, elles induisent immédiatement une atmosphère singulière. Etrangement, cette atmosphère, a priori très ouverte, fige la trame des récits, immobilise le recueil dans une réflexion paresseuse, sans élan. Privés d’une part d’identité, figés, neutres, froids, les textes, impénétrables, laissent indifférent. Si l’objectif de Tsuji était de pousser à la méditation, à la contemplation, il est partiellement atteint ; il poursuit par ailleurs son travail sur la mémoire, plus ou moins prégnant selon les textes, avec les temps d’une vie qui se croisent, se mêlent. Mais l’impression finale reste celle d’un indéfinissable fondu, sans relief, dont ressortent peu de choses ressortent.

S’il fallait trouver une unité entre les textes, elle résiderait dans ces liens entre passé et présent : qu’est-on devenu, pourquoi, les choses auraient-elles pu être différentes ? Six textes, pour un curieux aperçu de notre monde. Les récits se succèdent, souvent mystérieux, obscurs, d’autant plus perturbants (parfois presque incongrus) que l’écriture est très fluide. Un guichetier dans une poste voit jour après jour la même femme s’asseoir pour ne plus le lâcher des yeux, au point d’entrer dans un jeu de rôle embarrassant, sinon déplaisant, anxiogène. Un homme, médecin en zone de guerre, s’égare dans une forêt sans nom ; perdu, isolé, il est recueilli par une tribu dans laquelle le temps n’existe pas, ne s’écoule plus : il apprend à vivre là, simplement, différemment. Avec toujours la même question qui revient le hanter : peut-il vraiment oublier sa vie d’avant ? Dans un pays qu’on ne connaît pas, mystérieusement, les paroles des chansons, leurs airs, s’évanouissent, laissant errer dans les rues des silhouettes qui, sans musique, dépérissent lentement. On accuse les voleurs de chanson. A moins qu’il ne s’agisse de tout à fait autre chose ? Peut-être chacun est-il seul responsable des airs qu’il garde pour lui-même, responsable de leur perte, comme de leur retour… Dans une banlieue proprette, un enfant succombe à une fascination morbide pour un SDF masqué derrière un sac de toile, qui a abandonné derrière lui son identité pour vivre sans visage et se trouve accusé par l’ensemble de la communauté des meurtres de chiens qui se succèdent autour de lui.

Rien n’est prévisible dans ces tableaux mouvants, tout est tiraillé à la fois par l’absurde et par une grande solennité. A travers les thèmes abordés, Tsuji raconte la perte du sentiment, l’ambivalence, les instants qui précédent un point de rupture. Le questionnement par rapport au réel est omniprésent, la difficulté à être indéniable. Et pourtant, l’impression qui reste est mitigée, avec ce goût prononcé d’inachevé. Bien sûr, une grande poésie nimbe les textes, la distance est voulue, l’écriture volontairement épurée. Mais il n’y a ni la présence qu’on trouvait dans En attendant le soleil, ni les perspectives qu’ouvraient le roman, ni l’ouverture à l’imaginaire qui permettrait de sortir du texte. On peine à accompagner sur leur chemin des personnages toujours en quête de vérité. On déplore cet univers, au fort parfum d’inabouti.