Recenser sous forme d’un petit dictionnaire tous les groupes et mouvements de l’art depuis 1945 aurait pu figurer dans la liste des douze travaux d’Hercule. A défaut d’être un héros antique, Hervé Gauville est responsable de la rubrique des arts au journal Libération, ce qui en fait une personne plutôt bien placée pour rédiger ce bréviaire de l’art contemporain.
Avec une apparente objectivité, Hervé Gauville donne un aperçu assez complet des groupes et mouvements artistiques qui ont fait l’art ces dernières cinquante années. Une telle taxinomie est à prendre avec caution. Les termes mêmes d’artiste, de groupe et de mouvement se côtoient, se complètent mais se contredisent aussi dans la mesure où la dynamique qui les unit est chaotique. « Ce sont certes les artistes qui font les groupes mais il arrive, plus souvent qu’on le croit, qu’en retour ceux-ci forment ceux-là. »

Groupes et mouvements apparaissent selon les lois rarement contestées de l’arbitraire et de l’aléatoire, quelquefois même à l’insu de ceux qui les font. Leur entrée dans l’index ne tient alors qu’à un épiphénomène comme la plume d’un critique excité ou le scandale d’une manifestation. Les articles de Gauville, sans être condescendants, évitent toute emphase et se limitent à développer l’aspect expérimental, subversif ou pertinent de chacun. Le choix d’une classification alphabétique s’imposait. Une reconstitution historico-logique de l’art contemporain, si elle est possible article par article, eut été désespérément vaine dans une perspective synthétisante. L’alphabet est l’ordre idoine qui suppléé à une absence de nécessité historique.

L’Art depuis 1945 tente de fixer une matière par essence difficile à définir, et s’il constitue un outil intéressant, c’est dans la mesure où il est conçu avec l’humilité qui sied aux témoins de l’histoire. Sans jamais juger, ni même critiquer ou analyser, sous une apparence d’exhaustivité, le critique rend compte de faits déterminants dans l’aventure artistique contemporaine. Sa lecture nous rappelle que l’art de ce siècle est fait de mots autant que d’images. On pourrait presque dire de mots seulement au regard de ce livre dont les représentations en Noir et Blanc s’intéressent davantage aux personnages artistes qu’à leur création. Les concepts, les déclarations -de guerre-, les manifestes et anti-manifestes se bousculent à chaque lettre de l’alphabet. L’art est devenu une façon d’être au monde. C’est sans doute l’une des caractéristiques majeures de cette seconde moitié de siècle que d’avoir poussé jusqu’à son paroxysme le glissement sémantique d’un art de créer à un art d’être. Les groupes ou mouvements tels que Fluxus, Ecart, l’Internationale Situationniste ou le Pop Art réalisent une révolution tant philosophique qu’artistique. Le pouvoir des mots est immense ; ils n’ont de cesse de justifier un art toujours plus intellectuel.
Hervé Gauville donne un aperçu passionnant de l’histoire de l’art contemporain, et sans doute, à son insu, illustre bien à quel point l’art a su se passer de l’art.