Bien que son oeuvre reste à ce jour modeste, Hanif Kureishi, londonien d’origine pakistanaise né en 1954, a rapidement gagné une réputation assez flatteuse d’écrivain-culte, ses deux romans (Le Bouddha de banlieue et Black album) ayant obtenu un semblable succès et lui ayant valu une estime à peu près unanime, tout autant d’ailleurs que les deux scénarios de film que Stephen Frears a porté à l’écran -le fameux My Beautiful Laundrette et Sammy et Rosie s’envoient en l’air. Des bleus à l’amour, publié en 1997 et traduit un an plus tard chez Bourgois en France, est son premier recueil de nouvelles ; le cinéaste Udayan Prasad en a tiré son film, Mon Fils le fanatique. On retrouve bien sûr dans ces textes courts le regard décalé et cynique porté par l’auteur sur un pays, une époque et ceux qui y vivent : junkies, immigrés, intégristes, désespérés, paumés, ses personnages tentent comme ils peuvent de s’extraire de la misère qu’ont modelé tout exprès pour eux quelques années de thatchérisme victorieux (à ce propos, la signification du « Conte de l’étron » nous échappe sans doute, mais on peut en retenir cette conclusion : « On continue, toujours, toujours, malgré tout, sans savoir comment »). Il reste bien quelques opportunistes pour profiter des retours de fortune, à l’image de l’un des protagonistes de la nouvelle éponyme, ex-junkie mais vrai yuppie, qui découvre avec Major les joies du luxe qu’il n’avait pas lorsqu’il était opposant à Thatcher.

Pas facile, de toutes manières, de décrypter à coup sûr d’improbables métaphores ou arrière-plans politico-sociaux dans ces textes, toujours ironiques, dont on ne sait par où les appréhender, écrits avec malice -on est loin, très loin du sérieux engagé parfois un peu ridicule des Ken Loach et consorts. Certains protestent, Kureishi ricane doucement. De là sans doute la réussite de chacune de ses créations, personnages comme situations -cette jeune métisse incapable de s’incruster nulle part dans Ta langue au fond de ma gorge, ce jeune islamiste en voie de radicalisation dans Mon Fils le fanatique… Restent quelques longueurs, quelques facilités et répétitions qu’on pardonne toutefois assez facilement au cabotin Kureishi, lequel donne en définitive à voir d’une manière inimitable comment l’identité des uns est soluble dans le territoire des autres, sans jamais verser dans le pensum : « Azhar était habitué à être avec sa famille et à ne comprendre que des bribes de ce qu’ils disaient. Il essayait de discerner un sens, riait comme toujours en même temps qu’eux et articulait silencieusement ces paroles qui lui étaient inconnues, pris dans un constant tourbillon d’incompréhension ».