Auteur rare, confidentiel, culte, Guy Dupré est surtout connu pour ses grands romans, Les Fiancées sont froides ou Le Grand coucher. La Table ronde publie aujourd’hui un recueil rassemblant des préfaces et des articles qui, s’ils s’étalent sur plus de 50 ans, gravitent tous autour des mêmes sujets : des maîtres et des mystères. Ce styliste impeccable en a des nombreux, des maîtres, figures diverses, voire antithétiques, que réunit essentiellement le génie de la langue : Nerval, Barbey, Barrès, Bernanos, Jünger, mais aussi Loti, Apollinaire, Breton ou Cocteau… Tous, Dupré parvient à les évoquer sous des angles surprenants : ses phrases ciselées, émaillées, brillantes, sont des éclats qu’on croirait toujours sertis dans les profondeurs. Dupré cherche toujours derrière, c’est le mystère qui sans arrêt le requiert derrière les êtres et les évènements. Ainsi dévoile-t-il le « bâtard » derrière le soldat Apollinaire, le décadent en amont du Barrès nationaliste, le Franc-maçon à la genèse du Maistre ultramontain, tout comme, dans les coulisses du surréalisme, il présente les fils de bonnes familles revêtant le masque de la révolte. Quant aux événements, c’est la première guerre mondiale, son mystère vers lequel, en exégète profond, Dupré revient sans cesse. Encore une fois, il expose ce qu’il y a derrière la vision commune réduisant le conflit au seul constat d’une immonde boucherie, vision unilatéralement diffusée par Barbusse (qui était brancardier) ou Breton (qui fit la guerre à l’hôpital) et qui recouvre pudiquement la paradoxale mais fascinante extase de ceux qui la firent au front (Drieu, Jünger, Apollinaire).

Eclatant tout manichéisme, Dupré ne fournit pas de thèses ou de grilles de lecture closes, ni ne se contente de formuler un contre-discours : son propos consiste plutôt à ouvrir des brèches, à libérer les paradoxes, bref, à provoquer la pensée. Il s’attaque aussi à l’affaire Dreyfus en parfait connaisseur, éreintant le mythe officiel pour expliquer comment ceux qui ont triomphé de l’abject antisémitisme excité par les antidreyfusards n’étaient pas tant de saints défenseurs des Droits de l’Homme que des fanatiques anticléricaux, bien décidés à épurer l’armée de ses cadres catholiques et plutôt gênés par leur victime, Dreyfus, qui aurait sans doute lui-même été antidreyfusard… C’est donc au-dessus des camps que Dupré se situe, même s’il défend envers et contre tout les deux ordres, militaires et littéraires. On trouvera encore, dans ce recueil foisonnant, des éléments sur le rôle des sociétés secrètes dans l’Histoire de France (notamment de la Révolution) ou les sources occultes et ésotériques du socialisme athée, mais aussi les expériences mystiques d’un Nerval et d’autres captivantes curiosités. Enfin, chez ce disciple du Baudelaire des Fusées, on découvre aussi une multitude de somptueuses formules comme celle-ci : « Fatigué de sa propre littérature, Mauriac se refera une jeunesse en tapant sur l’armée, le Parlement, la feue France impériale ». Ou encore, au sujet d’André Hardellet : « Ecrivain mineur si l’on ajoute : de grands fonds ». Phrase que l’on voudrait appliquer à Guy Dupré lui-même.