La Correspondance de Flaubert, pour passionnante qu’elle soit, est la lecture d’une année. B. Masson et J. Bruneau ont décidé de la rendre plus accessible et en présentent un raccourci habile. Le procédé consiste à garder l’ordre chronologique des lettres mais à y superposer une cohérence thématique. Les deux éditeurs n’en oublient pas pour autant les lignes de traverse : les amours tumultueuses avec Louise Collet, son amitié de tous les instants avec Louis Bouilhet, son admiration pour Hugo, son mépris pour Sainte Beuve… Au terme de la lecture, on a le sentiment d’avoir senti les à-coups d’une vie : c’est le premier intérêt d’une correspondance. Mais le véritable charme de ce texte réside ailleurs. Ce qui rend la lecture des ces lettres si envoûtante, c’est qu’elles constituent un parfait contrepoint à l’œuvre romanesque de Flaubert. Alors qu’il ne cesse d’écrire : « Il faut couper court avec la queue lamartinienne, et faire de l’art impersonnel. », ses lettres sont pleines de sa personne. La confession affleure souvent : « Aussi le désespoir est mon état normal. Il faut une violente distraction pour m’en sortir. Et puis je ne suis pas naturellement gai. Bouffon et obscène tant que tu voudras, mais lugubre nonobstant. Bref, la vie m’emmerde cordialement, voilà ma profession de foi ». Ces lettres donnent une chair à Flaubert et humanisent un écrivain désincarné par l’enseignement et la critique.
Et cela concerne jusqu’à sa langue. Dans les moments les plus sérieux, la prose resserrée et maîtrisée des romans est investie par une trivialité vivifiante : « Il me prend envie de me casser la gueule quand je songe que je n’écrirai jamais comme je veux, ni le quart de ce que je rêve. Toute cette force que l’on se sent, et qui vous étouffe, il faudra mourir avec elle et sans l’avoir fait déborder. C’est comme les envies de foutre. On soulève en idée tous les cotillons qui passent. Mais dès le cinquième coup, tout sperme manque. Alors le sang vient au gland, mais la concupiscence reste au coeur. »
Lettres d’amour, arts poétiques, notations cochonnes, pamphlets politiques et critiques, cris de désespoir, voyages… le tout compose un portrait en mouvement qui ne cesse de surprendre. Cette Correspondance est jouissive au point qu’on finit par regretter les ellipses. Mais son plus bel effet est sans doute de provoquer l’envie irrésistible de relire Flaubert.