Contrairement à ce qu’affirmait Benjamin Péret, la guerre est un sujet poétique et littéraire d’exception. Et la guerre moderne particulièrement. Elle a inspiré de splendides calligrammes à Apollinaire, ou le terrible Orages d’acier à Ernst Jünger ; dans la guerre, l’homme est confronté à sa mort (donc à sa vie) de la manière la plus radicale qui soit, et il est, à notre époque, déchiqueté par sa propre technologie dans l’horreur et la beauté des salves. Mais comme le sexe, la guerre est aussi un sujet extrêmement périlleux pour tout artiste, car la force naturelle de ses images, l’évidence tyrannique avec laquelle elles s’imposent, ont vite fait d’étourdir – voire d’éblouir – le créateur, qui ne sait plus alors les maîtriser correctement et en faire fructifier les reliefs. C’est un peu le cas de ce roman de Gert Ledig, Sous les bombes, publié pour la première en 1956 et redécouvert en 1999 outre-Rhin. Il est pourtant basé sur un excellent concept : le temps d’une attaque aérienne américaine sur le Reich dévasté, en juillet 1944, durant une heure et dix minutes, Ledig développe les situations croisées, les destins avortés des hommes et des femmes pris sous le feu. Du pilote américain visant un cimetière pour ne tuer que les morts au couple allemand attendant leur fin dans leur maison en jouant aux cartes, du jeune soldat nazi ivre de violence aux troufions russes crevant de faim, des populations entassées dans le noir des caves à la jeune fille violée sous les décombres, Ledig nous offre un panorama de la catastrophe qui aurait pu être hallucinant.

Son style pauvre, ses effets faciles, ses traits naïfs vouent cependant son entreprise à l’échec, et Ledig n’est jamais à la hauteur de la portée esthétique, tragique et métaphysique de l’expérience qu’il relate. Les portraits brefs des personnages qu’il intercale en débuts de chapitre pour humaniser les futurs cadavres relèvent d’un procédé trop évident pour nous faire pleurer, et le systématisme des explosions, qui aurait pu être décliné avec talent, n’est en définitive que lassant. Ledig aurait pu choisir une des deux options intéressantes entre lesquelles il oscille : soit développer un vrai lyrisme de la catastrophe prenant pleinement la température du tragique, soit développer un vrai systématisme froid, absurde, kafkaïen. Mais il n’en choisit vraiment aucune, pas plus qu’il ne parvient à les amalgamer dans un mélange contrasté. En dehors de deux ou trois effets qui atteignent malgré tout leur cible (comme l’incipit du livre qui reprend la parole du Christ, « Laissez venir à moi les petits enfants… », avant d’enchaîner sur la description de la projection de corps d’enfants morts soufflés par une bombe), le reste est balles perdues, et Sous les bombes se révèle n’être qu’un pétard mouillé.