Ces six nouvelles firent l’effet d’une bombe lors de leur parution aux Etats-Unis : ventes inespérées, enthousiasme communicatif de James Ellroy soi-même (« les meilleures nouvelles jamais écrites sur le monde de la boxe » ; le bandeau de l’édition française ne se prive pas pour reprendre le compliment), intérêt des producteurs de cinéma. Traduction en mains, on comprend pourquoi : Toole connaît son affaire, swingue comme un diable et donne au milieu du « noble art » un éclairage unique et passionnant, avec une touche de tendresse virile qui n’est pas sans rappeler la patte d’un Dan Fante.

Derrière le pseudonyme (F.X. comme le saint François Xavier, Toole comme Peter O’Toole) se cache Jerry Boyd, californien né d’un père irlandais au début des années 30 : employé de casino, barman, cireur, comédien (et même un temps toréador), Boyd enfile ses premiers gants sur le tard, la quarantaine venue, histoire de se refaire une santé après des décennies d’excès en tous genres. Il devient boxeur professionnel, s’entraînant dans des gymnases où la plupart de ses confrères ont l’âge d’être ses fils et se pliant au même régime physique qu’eux. Les lois de la nature ne se discutant pas, il finit par passer de l’autre côté du ring en devenant à son tour entraîneur et accompagnateur : c’est là qu’il a mis en application la longue série de recettes et de méthodes hautement scientifiques qui font en partie le prix de La Brûlure des cordes. Comment stopper le sang qui pisse des coupures à l’arcade sourcilière et risque d’aveugler le boxeur ? Avec la chlorure d’adrénaline, solution à un pour mille pas très réglementaire mais dont les narrateurs des nouvelles font un usage immodéré. L’important lors d’un combat ? Respirer, toujours respirer. Et aussi se tenir sur la plante des pieds, se servir de l’orteil droit pour l’élan, garder son poids sur le genou gauche et s’appuyer dessus en expédiant un jab, doubler et tripler son jab pour obliger l’adversaire à reculer ; frapper et se retirer, garder l’adversaire « au bout de son allonge » sans se laisser approcher…

On referme le recueil avec l’impression d’en connaître un rayon sur la question. On n’en a pas envie pour autant de monter sur le ring et de se lancer dans la bataille : l’univers décrit par F.X. Toole est tout sauf idéalisé, et l’on ne compte pas le nombre de litres de sang écoulés, de nerfs sectionnés, de phalanges et de nez fracturés, d’entailles de toutes sortes et de corps laminés qu’il met en scène. On rentre aussi dans le milieu très spécial de la boxe féminine, discipline qui, malgré les réticences de certains, a manifestement le vent en poupe : « La fille à un million de dollars » est d’ailleurs la meilleure nouvelle du recueil, avec un final dramatique habilement étiré sur plusieurs pages d’une force tout à fait remarquable. « Traces de cordes », le dernier texte (une novela d’une centaine de pages), donne à Toole l’occasion de revenir sur les émeutes raciales de 1992 à Los Angeles, et de distiller tout au long du texte quelques opinions plutôt trempées sur la question (l’homme a du caractère, et n’est pas porté sur l’angélisme bien-pensant). Sa Brûlure des cordes est une réussite en tous points remarquable, servie par un style tendu du meilleur effet. Il faut dire qu’il avait pas mal de manuscrits derrière lui, même s’il n’avait jamais rien publié de sa vie jusqu’à ce qu’une revue de San Francisco lui prenne l’une de ses nouvelles. Le reste allait de soi : contrat, recueil, reconnaissance légitime. Dont il n’aura malheureusement guère profité : Toole est mort en septembre dernier, des suites d’une opération au coeur.