On n’imagine pas toujours ce qu’on peut découvrir lorsqu’on se lance dans une thèse sur « le concept de juste milieu dans les littérature française et néo-latine de la Renaissance ». Normalien, agrégé de Lettres classiques et doctorant à Montpellier, Tristan Vigliano est tombé lors de ses recherches sur Grobianus, une petite pépite du milieu du XVIe siècle qui, curieusement, n’avait jamais été traduite en française. « Grob », en allemand, signifie « grossier » ; le Grobianus, c’est un « petit cours de muflerie appliquée pour goujats débutants ou confirmés », comme le dit plaisamment le sous-titre, ou, en d’autres termes, une joyeuse parodie des célèbres « traités de civilités » qui fleurissaient à l’époque (Erasme en pondit un fort fameux) et exposaient par le menu les règles et principes du bien-vivre. Fils d’un boucher allemand né en 1524, un temps élève de la faculté de théologie de Marburg et auteur d’un épithalame composé en l’honneur des noces de la duchesse Sidonie de Saxe et d’Eric II de Braunschweig-Lüneburg (c’est à peu près tout ce que l’on sait de lui), Friedrich Dedekind écrivit donc en 1549 la première version de son Grobianus, détournement potache et joyeux dans lequel il énumère avec soin et solennité les grands commandements du mal-vivre.

« On nous a dit qu’il est arrivé parfois, alors que l’issue ne faisait plus de doutes, que les médecins, n’obtenant aucun résultat par le chaud, aient eu recours au froid et aient apporté à leur patient un secours inespéré : nous avons donc décidé de publier ce poème sans prétention sur la rusticité des moeurs, dans lequel nous recommandons de faire ce que tout le monde regarde comme contraire à la civilité et comme absolument intolérable chez les nobles esprits », lit-on en guise d’avertissement. Manière de laisser entendre que l’auteur n’est pas fou, et qu’il cherche à montrer le bon chemin en indiquant tous les mauvais… Quoi qu’il en soit, le Grobianus est un véritable régal de lecture, sorte de « Gros dégueulasse » façon Renaissance dans lequel on apprend comment ne jamais se lever avant midi, comment se balader la morve au pif, comment roter à table en toute bonne conscience, comment se saisir des meilleurs morceaux dans les plats avant que les autres ne le fassent, comment draguer comme un porc au vu et au su de tout le monde… Pour les puristes, Tristan Vigliano annote tout cela avec force détails poétiques et érudits (on regrettera juste que sa préface soit si bordélique et peu informative) ; pour les autres, la présentation en regard de la traduction française et du texte latin offre une occasion inespérée de se réconcilier avec la langue de Virgile et d’apprendre comment on disait « roter », « péter », « bâfrer » et « se soûler » dans les banquets d’après-messe. Réjouissant.