François Bégaudeau vient de réussir ce qui s’apparente à un petit exploit littéraire : écrire un roman hilarant sur le thème de l’école. Sans fausse distance ni complaisance béate, le narrateur d’Entre les murs nous fait pénétrer le petit monde clos et auto-référencé d’un collège parisien ; une sorte de fiction-réalité dont les chapitres sont énigmatiquement titrés par des nombres (celui des jours de travail entre chaque période de vacances scolaires) et où chaque paragraphe désigne l’une des anecdotes de la journée. Bégaudeau se prémunit ainsi contre le reproche de noircir le tableau. Ce rythme génère une atmosphère volontairement grotesque dans laquelle les protagonistes tiennent inlassablement les mêmes propos ou les mêmes postures, prisonniers d’une routine confortable dont ils font officiellement tout pour s’extraire. Profs obnubilés par la date des prochaines vacances, élèves peinant sur des notions élémentaires de la langue française, personne ne sort indemne de ce jubilatoire exercice de démolition d’idées reçues. Jusqu’au proviseur de l’établissement, digne représentant de l’école républicaine à la française, et son goût prononcé pour les mesures « à caractère éducatif » : l’élève viré doit comprendre qu’il ne faut pas vivre la sanction comme une exclusion du système, mais comme la possibilité d’aller « se reconstruire ailleurs ». Ou comment la terminologie gauchisante de l’Education Nationale se trouve ramenée à sa forme la plus identifiable, celle d’une rhétorique creuse et hypocrite.

Entre les murs ne se résume pas pour autant à une charge acerbe contre le système scolaire. Si l’on sent bien que le narrateur diffère quelque peu de ses collègues dans ses aspirations, il n’est pas épargné sur le plan moral. Volontiers de mauvaise foi, souvent méprisant dans ses saillies, gagnant du temps pour répondre à une question dont il ignore la réponse, il est à cent lieues du maître des écoles dont l’IUFM garantit l’AOC depuis de nombreuses années. L’angle choisi par l’auteur est finalement plus celui du désengagement individuel (permis par la lourdeur et l’immobilisme collectifs) que la volonté de dresser le portrait sordide d’un système abstrait et inhumain. Le constat dressé n’en est pas plus reluisant. Aucun espoir n’est visiblement à attendre de l’école française, profs et élèves étant confondus dans la responsabilité de l’échec.

L’art exquis de Bégaudeau consiste à traiter la chose avec une savante dose d’absurde. Les scènes les plus délicates en deviennent irrésistibles. Prenant deux élèves à part pour leur signifier qu’elles ont eu « une attitude de pétasses », le narrateur s’escrime finalement à leur répéter que l’on dit « insulter » ou « traiter de » mais que non, il ne les a pas « insultées de pétasses ». Une forme d’humour délirant qui correspond idéalement à l’attention accordée au rendu des dialogues. Contrairement à ce qu’il fait dire à son personnage concernant l’infranchissable barrière qui existe entre l’oral et l’écrit, Bégaudeau excelle à restituer les propos des différents interlocuteurs dans leur forme parlée : les élèves s’expriment fort mal et les profs à peine mieux, le plus vraisemblablement du monde. Seule une troisième instance narrative signale au passage les qualités littéraires dont est capable l’auteur. Au fil des exclusions, des dysfonctionnements de la photocopieuse et des affrontements verbaux, l’année scolaire se déroule sans teneur réelle, sans aucune aspérité que la machine ne puisse éroder. Et ce n’est probablement que dans la position du spectateur extérieur qui nous est prêtée que cela devient drôle et vivant. « A la fin de l’année, il faudra faire un dossier d’inscription pour le lycée que vous aurez choisi, enfin, que vous aurez choisi en fonction de ce qui est possible. En gros, il faut trouver le compromis entre désir et réalité. Elle a écrit au tableau les deux mots, en les séparant d’un slash ».