Tout commence comme dans un conte fantastique, avec un récit-cadre expédié en quelques pages (à la fin des manifestations du cinquantenaire de la mort de Federico García Lorca, un journaliste rencontre un ivrogne bavard, « mélange de vieux solitaire et de clochard rendu à moitié fou par l’alcool ») suivi d’un long monologue dans lequel le héros raconte son histoire : celle, bizarre et captivante, du destin « posthume » du grand poète andalou. Comme chacun sait, García Lorca est mort en 1936 à Grenade, au début de la guerre civile, sous les balles des rebelles antirépublicains, et son corps a été jeté à la fosse commune de Víznar. Mais selon le narrateur, la réalité est différente : livrant son pain pendant l’été 1936, il découvre sur une route de campagne le corps blessé (quatre balles) d’un homme encore vivant, qu’il recueille chez lui. Tour à tour épileptique et léthargique, le pauvre type guérit lentement mais semble incapable de rien faire, sinon regarder stupidement dans le vide. Son ange-gardien finit par le confier à des religieuses, et apprendra par la suite qu’il s’est échappé de son asile ; leurs routes se croiseront de nouveau des années plus tard, jusqu’à ce que l’ex-livreur de pain se convainque que derrière ce mendiant persécuté par tous se cache en réalité le poète García Lorca, vieilli et amnésique…

Troisième roman traduit du madrilène Fernando Marías, La Lumière prodigieuse joue habilement sur le principe du doute et de la confiance aveugle : le narrateur ayant posé dès les premières lignes le principe de l’intrigue (« En plus, Federico García Lorca n’est pas mort en août 1936 », lance-t-il au journaliste entre deux bouffées de cigarette), le lecteur n’a pas d’autre choix que d’y croire et de le suivre dans son histoire. Le trouble né du rapprochement entre l’image héroïque du grand poète et celle, misérable, du clochard apathique échappé de l’asile, fonctionne alors à merveille, d’autant que l’écrivain possède un sens aigu du tempo et de la mise en scène. Le plus étrange restant que cette histoire d’apparence fictive ne l’est peut-être pas tant que ça : en 2009, des analyses ont confirmé que le corps de García Lorca ne se trouvait pas dans la fameuse fosse de Víznar, et personne à ce jour n’est capable de dire où se trouve sa dépouille – ni même s’il est bien mort en août 1936, comme chacun l’a toujours cru. Et le roman de se transformer en métaphore, comme pour souligner qu’à la différence du corps l’œuvre poétique, elle, ne meurt jamais.