Journal des erreurs s’adresse de préférence à deux catégories de lecteurs : les ultra-négatifs et les ultra-positifs. Il serait inutile de se plonger dans les écrits de Flaiano si vous êtes plutôt d’une humeur morose. Car Flaiano n’est pas ce qu’on pourrait appeler un amoureux de la vie. Alors, si tout va mal, vous vous y reconnaîtrez, si tout va bien, vous ne serez pas ébranlé par tant de noirceur. Rappelant à tout moment, dans des impressions de voyage, des notes, des aphorismes, la vanité de ce monde, la silhouette de Flaiano peu à peu se dessine, dérangeante mais non moins intéressante : nihiliste, dépressif, cynique, désabusé, etc. On ne peut pas vraiment dire que ce portrait soit attirant, généreux, mais on ne peut passer à côté de son incontestable profondeur, d’une grande sincérité et d’une certaine lucidité. Lorsqu’il visite Paris, Hong-Kong, Amsterdam ou son Italie natale, adorée et détestée, il ne s’attarde pas à faire la visite des lieux (ou très rarement comme lorsqu’il décrit Saint-Germain-des-Prés), il privilégie les leurres, les us et coutumes ridicules, fait part de sa solitude dans la foule ou dans sa chambre d’hôtel.

Flaiano s’est nourri de toutes sortes d’auteurs, les moralistes, les classiques, les surréalistes ; ils sont autant de visions du monde qu’il s’amuse à détruire. Il a collaboré aux scénarios de films de Fellini, Antonioni et sa bibliographie compte une trentaine d’ouvrages. Son monde ressemble à une nuit dans le désert : le rien, le froid, le silence. Pas d’images, pas de lyrisme : il cherche à décrire l’ennui, l’immobilité, le vide absolu. Flaiano assume ses choix de « non-vie », de « non-participation », de « non-étonnement » et couche sur le papier son attente, sa torpeur face à sa propre existence qu’il a du mal à expliquer. Quelques rares moments de bonheur très vite étouffés, bridés, peuvent faire penser qu’il trouve la justification de son existence dans une forme de courage ou au contraire de peur incontrôlable, de vertige devant les difficultés qu’il rencontre. Son choix de vie est de rester lucide, mais sa lucidité n’est-elle pas une forme de suicide ? N’est-ce pas un moyen de se donner la mort un peu tous les jours ? Regrettons la quasi absence de biographie qui accompagne l’édition du Journal des erreurs : il aurait été éclairant de mieux connaître sa vie pour mieux comprendre cet étrange personnage.