Le dernier roman de Paul Auster est, une fois encore, caché derrière un pseudonyme. L’écrivain préféré des « quinquas » s’était déjà fendu au milieu des années 90 d’un hasardeux roman policier signé Paul Benjamin, transpercé de bout en bout par ses thématiques pré-mâchées : le base-ball, la solitude, le hasard, et surtout papa, jamais là quand le petit Paul en avait besoin. Le temps aidant, la France -sa terre d’accueil critique- s’est mise à comprendre que l’apport du romancier new-yorkais n’était finalement que très mineur par rapport à des personnages clés comme Ellis, Coupland, Mailer ou DeLillo.

Et c’est d’ailleurs sous le nom de ce dernier que l’esprit d’Auster réussit finalement à ressurgir une fois de plus en ces temps de frimas populaires. On aurait pourtant voulu y croire. Penser, qu’une fois encore, le beau Paul arriverait à transcender son écriture sclérosée, schizoïdé qu’il était dans la peau de son ami de toujours. Mais rien n’y fait. Aucune trace du style épique, précis, cassant et minimaliste de celui qui créa en d’autres temps des chefs-d’œuvre comme Chien galeux ou Libra. Aucun éclat non plus dans ce récit confiné dans une intimité qui vire rapidement au huis clos aride. Body art frise l’indécence dans la forme, ne parvient jamais à rattraper la déliquescence littéraire qui anime sa diégèse extrêmement simple : Rey Robles, vieux beau et cinéaste culte à ses heures perdues, laisse derrière lui sa troisième épouse de trente-six ans spécialisée dans le body art. Une femme qui doit recomposer son présent dans le souffle pulsé d’un être mutant, mi-enfant mi-adulte, qui hante la maison du défunt.

Ce qui dérange dans ces 126 pages n’est pas tant leur côté trop « classique » ; la culture classique, on le sait depuis longtemps, n’est que la source inépuisable des meilleurs récits contemporains. Non, ce qu’on reproche à DeLillo c’est d’avoir trouvé un si mauvais nègre pour exécuter le plan promo du début avril. Bien sûr, on retrouve parfois quelques fulgurances narratives, quelques effets de style qui transcendent l’ennui de cette littérature nombriliste qui n’en finit pas de contempler la stagnation des sentiments et des corps. Dans Body art, les descriptions sont trop précises pour être « honnêtes », les personnages trop poétiques pour qu’on ne flaire pas, au détour de chaque mot, la supercherie en puissance. Alors qu’un cinéaste comme Ozon arrive à retranscrire pudiquement ce manque de l’être cher, le romancier se perd, lui, dans des atermoiements stylistiques stériles. Dès la scène d’ouverture de cette novela, on renifle le piège du nouveau roman ; dix pages plus tard, l’écueil s’est précisé : ce récit intimiste donne dans la quête banale et le néo-romantisme, le tout enrobé dans une langue apte à restituer l’infinie tristesse des vies brisées. On a souvent considéré DeLillo comme le romancier ultime de la littérature américaine. Avec Body art, il prouve seulement qu’il sait compiler nos grands génies nationaux, de Le Clézio à Paule Constant.