Il y aurait sans doute plusieurs dizaines de pages à écrire sur la vitalité de cette jeune littérature irlandaise dont on découvre au rythme des traductions et par delà son inépuisable variété, les grandes constantes thématiques et stylistiques. Dermot Bolger est sans doute, avec Joseph O’Connor et Roddy Doyle, l’un de ses plus célèbres représentants, quoique ses cinq pièces et romans aujourd’hui disponibles en français ne rendent pas tout à fait compte de l’abondance d’une œuvre littéraire commencée au début des années quatre-vingts (il a alors à peine plus de vingt ans) et riche d’une bonne vingtaine d’ouvrages publiés, romans, théâtre et poèmes. C’est notamment lui qui, voici quelques années, manigança l’édition du fameux Finbar’s Hotel, hilarant roman collectif rédigé par sept de ses confrères et mis en forme par lui-même, d’ailleurs couronné par une suite tout aussi irlandaise mais exclusivement féminine cette fois. Après l’ambitieux et remarquable La Musique du père (aujourd’hui repris en poche), Tentation prend le risque d’une intrigue minimaliste et d’un registre autrement plus modeste en circonscrivant son regard aux sept jours de vacances d’une mère de famille de 38 ans aux prises avec trois enfants et son propre mal-être.

Un couple banal de l’Irlande moyenne, avec une histoire qui ressemble à toutes les autres et des drames comme il s’en noue dans tous les foyers de Dublin et d’ailleurs : Alison, son mari et leur jeune progéniture partent, comme tous les ans, passer une courte semaine à l’hôtel Fitzgerald, sur la côte sud du pays. Sept jours à l’abri de la monotonie d’une vie sans sel, supposés soulager la tristesse d’une jeunesse envolée et la sourde douleur de l’ennui conjugal, lot commun des quadragénaires middle-class auquel elle n’échappe pas plus qu’une autre. C’est lorsque son mari, contraint de regagner Dublin, la laisse seule à l’hôtel avec leurs enfants que jaillit enfin la violence des sentiments qui l’habitent : le hasard la pousse vers Chris, veuf éploré qu’elle aima brièvement il y a très exactement vingt ans. Souvenirs, doutes, regrets et incertitudes peuvent dès lors se mêler dans un long ballet d’émotions partagées qui permet à Bolger de tracer le portrait, tout en nuances, de cette femme décidément ordinaire. En limitant l’intrigue et les personnages au strict minimum, le romancier ne fait d’ailleurs pas mystère de sa volonté de reprendre à son compte ces quelques thèmes classiques -effets du temps, lente désagrégation de la force de vie au sein des formes sociales instituées, réalité ou duperie du sentiment amoureux- en explorant au plus profond l’âme tourmentée de cette mère de famille parmi d’autres. L’arrière-fond irlandais et sa symbolique habituelle disparaissent ici derrière la précision du portrait et l’obstination à relever au plus près la cartographie de l’esprit ; pour ne pas manquer de style, le récit n’évite cependant pas toujours les écueils de l’introspection, du cliché psychologisant et d’un miniaturisme laborieux. Une impression s’installe, insidieuse mais pénible. De l’ennui, sans doute.