Dan Fante, fils de John Fante, porte un nom qu’il a visiblement eu toutes les peines à assumer, mais dont – et c’est tout à son honneur – il ne fait aucun de mystère. Fante fils appartient à cette catégorie d’écrivains qui sont dans l’obligation quasi tragique de se démarquer du père – littéralement – pour pouvoir atteindre une forme de vérité sur eux-mêmes et sur leur écriture. C’est là l’objet, semble-t-il, de ces huit nouvelles écrites sous l’influence des psychotropes et de l’alcool, marquées par la déchéance, dans un Los Angeles plombé par son soleil aveuglant. Nouvelles autobiographiques qui content les journées illuminées par un ciel « sans nuage, parfaites et chiantes » de Bruno, conducteur de taxi, et double évident d’un Dan Fante à la langue acerbe et désenchantée. Plutôt que du père, auteur culte de la saga d’Arturo Bandini (à qui son fils décerne, en début de livre, l’ambigu « Merci, fils de pute sublime »), Dan Fante se revendique de deux autres résidents de la Cité des anges : Charles Bukowski et Hubert Selby Jr. Comme l’auteur l’explique dans Bon baisers de la grosse barmaid, recueil de poèmes qu’il publiera à la rentrée : « C’est Selby qui m’a appris à écrire et répandre mes tripes et ouvrir mon coeur sur le papier ».

Difficile de ne pas trouver dans ce recueil de quoi s’attacher au personnage plein de colère et de frustration qu’est Bruno, héritier de la défonce façon Kerouac, sorte de beat égaré dans ces années 2000 sans promesse, auteur incompris qui voit – à l’instar du Chinaski de Bukowski – ses romans rejetés par les éditeurs, inachevés par manque de temps, ou pris en otage avec « demande de rançon » par une petite amie. Un taxi driver à la bouche remplies d’injures, transportant sa gueule de bois d’un bout à l’autre de la ville en assénant des phrases pareilles à des coups de poing : « Pour une fois le peloton d’exécution qui tiraillait dans mon crâne avait cessé le feu ». Les clients, eux, sont encore plus fêlés que lui, des marginaux en tout genre battant le pavé californien, comme cette « fille qui puait » et qui finalement n’en est pas une, ce portier d’hôtel de luxe battu par sa femme, ce chef décorateur « champion du baratin sans fin », et l’inévitable femme fatale, « merveille lovée sur le vinyle de la banquette arrière ». Personnages typiques et caricaturaux d’une ville, Los Angeles, dont la réalité est elle-même une caricature souvent plus convaincante que la somme des fictions qu’on produit sur elle. Mais L.A. aura toujours besoin d’un Bukowski, ou d’un Fante, ces écrivains-résidents qui les hantent autant qu’ils sont hantés par elle, et c’est là que se trouvent aussi les limites de l’exercice auquel se livre Dan Fante – celle d’une expérience vécue dans le creuset d’une ville sur-jouée, et qui réclamerait peut-être un éclairage nouveau, débarrassé du pathétique. Ceux qui, en revanche, redemanderait encore de cette lumière crue baignant les laissés-pour-compte de l’enfer californien, du grand foutoir décadent de la côte ouest, ou de cet envers du décor « avec vue sur l’océan » – ceux là trouveront en Dan Fante un nouveau porte-flambeau de la survie à plein régime dans l’Amérique urbaine.