Il y a dix ans, quand on regardait un épisode de Six feet under ou des Sopranos, c’était un instant précieux, soustrait aux préoccupations et à l’urgence ; un moment hors du temps, une méditation sur les choses fondamentales, la vie, la mort, la famille. Une pause pascalienne. Aujourd’hui, les séries sont un divertissement comme un autre, et dans cette industrie en surproduction, les chefs-d’œuvre succèdent aux immanquables, à un rythme tel qu’il faut consentir d’immenses sacrifices pour être à la page. Plus le temps de penser à rien, il s’agit d’écouler des disques durs entiers, chargés jusqu’à la gueule, de drames et de sitcoms qui dictent (et brouillent) l’esthétique de l’époque.

Parfois, donc, il faut revenir à l’essentiel : la lecture. Quitte à prendre pour sujet le loisir de masse emblématique de la décennie passée, comme dans ce recueil, Ecrivains en série – Saison 2, qui reprend la formule du précédent volume : un écrivain, une série, texte libre. Le volume est épais et se parcourt en tous sens, au gré des humeurs. Les nouveaux classiques font leur entrée (Breaking bad, Mad men, Treme), tandis que les vieux s’élèvent à une dignité nouvelle (Doctor Who, Le Manège enchanté, Urgences). Pacôme Thiellement démontre avec brio qu’avec Carnivale, il y a eu un chaînon manquant entre Twin Peaks et Lost ; Stéphane Legrand analyse le génie comique de Sheldon dans The Big Bang theory ; et Jérôme Ferrari nous rappelle, si besoin était, que Mafiosa est écrit avec le coude, et joué par des manches.

Evidemment, il y a à boire et à manger dans les quelques 120 (!) textes proposés. Mais après tout, c’est le principe des séries, et tous les scénaristes le disent : le format télé, c’est la liberté. Sauf à travailler sur 24h chrono ou Lost, qui exigent du rythme et des twists (un format en perte de vitesse), on peut se permettre toutes les lenteurs, toutes les subtilités d’écriture. On peut raconter ce qu’on veut, à condition d’avoir un style fort, et c’est ce principe que cherche à appliquer l’anthologie à l’écriture tout court. Avec plus ou moins de bonheur, parce que le principe est casse-gueule, et qu’il donne aussi de mauvaises séries (Nip/Tuck, Nurse JackyPlus belle la vie ?). Mais on se réjouit à l’avance de ce que pourront donner les superbes séries qui manquent encore à l’appel (Party down, Eastbound & down), sans parler du classique annoncé, Boardwalk empire (cf. Chronic’art #69, en kiosque). L’avantage avec les séries, c’est que virtuellement, ça n’a pas de fin.