Camille de Toledo est un jeune homme qui suffoque. C’est son époque, donc la nôtre, qui lui a inoculé cet asthme dont il peine à se défaire. Il a 26 ans. Deux grands événements, paraît-il, ont organisé notre être actuel : la chute du mur de Berlin et celle des deux tours de Manhattan. Dans le cénacle scientifique, du moins celui de l’auteur, on appelle pompeusement ça la théorie du « Boum » et du « Badaboum », qui doit faire saisir de quelle manière nous avons été enfermés et comment nous pourrions, par la suite, nous extraire de cette aliénation par le système marchand. Du mur de Berlin jusqu’au deux tours : comme embrassement historique, on a fait plus ambitieux mais Camille de Toledo, qui n’est pas Hegel, préfère quelque fois s’abstenir et laisser « les philosophes trancher ». Voici la liste de nos maux : l’esprit des fins (fin de l’histoire, de l’art, etc.) qu’on nous a rabâché ; ou cet ennuyeux devoir de mémoire (une des grandes victimes de l’ouvrage), voire la facticité de toute rébellion. Bref, on en est arrivé à ce fameux « dandysme de masse » ou, dans le second moment de la « nouvelle emprise », dans une « esthétique de la liquéfaction ». Bon.

Quelles sont les sources de Camille de Toledo ? Les écrits de Jean-Paul Curnier (sic) et la « mondanité globale », dont il a manifestement abusés. Ceci doit expliquer la terrifiante pauvreté du style de l’ouvrage, cousu de petites phrases qu’on croirait susurrées par Caliméro assis devant son pupitre, ou l’absence vertigineuse de réflexion dont cet Archimondain jolipunk souffre horriblement. L’auteur part peut-être d’une bonne intention : réveiller les voisins, mais sa vison de l’histoire -économique, géopolitique, contestataire, artistique- n’est sous ses yeux rien moins qu’une grande concrétion communautaire, un magma où cohabitent la faune décérébrée des vernissages parisiens et les transhumances du sous-commandant Marcos. Toledo souhaite voir l’émergence d’un « être poétique contre l’être marchand », l’avènement d’une « esthétique de l’invisible » ou d’un « romantisme aux yeux verts » (sic), choses qu’a priori on ne récuserait guère mais qui, ici, désolent profondément par leur mièvrerie et leur médiocrité intellectuelle digne des plus hauts faits maffesoliens. Car il est désormais inutile de vouloir résoudre -surtout avec ce type d’armes-là- l’inflation d’une époque, mais bien de la répertorier implacablement en vue d’infirmer son discours.

Le système marchand, dont nous connaissons l’attitude néo-rebelle, vient donc de produire un livre. Un livre heureusement pas trop dense (le rendement l’impose, le lectorat aussi), à la jaquette stylisée (communicative), écrit par le petit-fils de feu le président d’une gigantesque entreprise de produits laitiers. Tous les ingrédients sont bien réunis pour que l’époque nous divertisse d’une de ses jolies pirouettes, soit organiser sa propre critique. C’est-à-dire la poursuite de son processus de conquête effrénée des cerveaux. Motivés, motivés… Ca, c’est la bande originale de ce livre archi-niais, joliment nul.