Londres après minuit ? Les cinéphiles reconnaîtront le titre d’un film de vampires muet de Tod Browning, tourné en 1927, avec Lon Chaney, « l’homme au mille visages », l’un des plus acteurs de l’époque. Ils savent aussi que Londres après minuit a disparu, à l’instar de nombreux films de cette époque, tournés sur des pellicules fragiles, perdus dans des déménagements, etc. Il paraît malgré tout que des exemplaires ressurgissent de temps en temps, et qu’on organise des projections secrètes pour des cercles d’initiés. On dit aussi que ceux qui voient le film ont une fâcheuse tendance à mourir de manière accidentelle…

C’est ainsi que le scénariste mexicain Augusto Cruz commence son roman, en imaginant que le vieux producteur Forrest J. Ackerman (oui, le vrai, celui qui a monté l’une des plus grandes collections d’affiches et d’accessoires de cinéma de genre), près de mourir, demande à McKenzie, ex-agent du FBI, de remonter la trace de ce film culte. Une incroyable enquête démarre, pleine de pistes à explorer, de vieux acteurs croulants à retrouver, d’entrepôts à visiter, etc. Les indices s’accumulent, les choux blancs aussi. « Comme le Yeti ou le monstre du Loch Ness, le film a l’étrange capacité de réapparaître ou de feindre de le faire régulièrement comme s’il cherchait à maintenir en vie son souvenir »…

Londres après minuit mélange l’efficacité du roman de mystère, les techniques du polar (un côté marabout-de-ficelle, la machine relancée par un nouvel indice) et l’érudition d’un passionné (la documentation est colossale). McKenzie, le narrateur, étant passé par le FBI, Cruz s’offre le plaisir de connecter une intrigue secondaire à la principale, en imaginant les souvenirs du héros à l’époque d’Hoover… C’est prenant (à part le dernier tiers qui patine, quand le récit vire au gothique), admirablement traduit (par André Gabastou), inclassable. Un bel hommage à l’ère du muet et aux films de genre, doublé d’une réflexion sur ce qu’il reste de mystère dans notre monde où tout est archivé, transparent et disponible tout de suite, d’un clic.