Redécouvrir XCOM, c’est d’abord se faire percuter d’une épiphanie douloureuse : l’envahisseur Petit-gris était à deux doigts de l’extinction. En 1993, son premier épisode (UFO pour les puristes), ravivait cet esthétique retro-50’s de l’alien Roswell, la mariait à la paranoïa gore des comics Mars attacks, et signait un renouveau du jeu tactique sans commune mesure. Qui se souvient d’XCOM se souvient d’un classique immédiat, qui enfanta une descendance féconde mais rarement à sa cheville. Depuis, la saga s’est progressivement délitée dans des épisodes insipides. L’alien envahisseur lui-même a progressivement perdu sa cote contre le terroriste (Resistance restant l’exception à la règle) au tableau des ennemis les plus « wanted » du jeu vidéo. En deux décennies, son imagerie Petit-gris s’est drapée d’un voile de ringardise. X-files, le Mars attacks de Burton ou La Guerre des mondes de Spielberg ont gentiment rhabillé son image d’Epinal (ne parlons même pas du point d’orgue de Jacques Pradel et son canular sur Roswell) pour l’enterrer définitivement dans les années 2000. Difficile, donc, de ne pas réprimer une bouffée d’angoisse devant l’éternel revival d’un vestige qui aurait peut être dû le rester.

 

Retour aux faits : face à l’attaque massive de forces extraterrestres sur les plus grandes villes du monde, les Nations Unies placent leurs derniers espoirs dans la XCOM, opération militaire secrète dédiée à lutte anti-alien. Le gameplay est binaire : gestion de la base (enrôlements, R&D technologique) et intervention ponctuelles sur certains points chauds aux moyens d’une escouade de commandos. Pour les fans hardcore, cet Enemy unknown est donc affaire de concession. On ne dirige plus plusieurs bases mais une seule, dont la gestion s’est assouplie devant les impératifs d’une scénarisation linéaire. Idem pour l’action, qui gagne en fluidité cinématique ce qu’elle perd en calcul tactique (couvert et ligne de vue largement édulcorés). De tous ses liftings, XCOM choisit certes une voie des plus consensuelles. Mais les essentiels sont bien là ; mieux, ils bénéficient d’une emphase adéquate. En premier lieu, le sens de la dramatisation face à la perte et au dommage collatéral que le jeu met en exergue témoigne d’un anachronisme saisissant. Tout soldat perdu sur le champ de bataille l’est définitivement (et sa progression d’expérience avec). Tout pays qui dépasse son seuil de panique (à défaut d’intervention sur ses terres), retirera ses billes du projet pour toujours et grèvera l’afflux de ressources de guerre. Cette pression a l’efficacité de resserrer le lien de causalité entre le concret du terrain et l’abstrait de la salle de briefing, où chaque action a sa résonnance décalée de l’autre côté du miroir. Aucun hasard : le jeu est développé par Firaxis, studio crée par Sid Meier, le père de Civilization. Cette reprise (reboot, dirait-on presque) de la licence par un autre géant de la stratégie entraîne forcément une transfiguration de ses enjeux guerriers. Dès les premières heures, le jeu fait planer la menace irrémédiable d’une défaite inéluctable en cas de négligence de son rôle de VRP auprès des pays mécènes. Choyer la moindre nation en crise doit procéder du même réflexe protecteur (presque parental) que celui de bichonner son soldat dans les tranchées.

 

Cette pression ambassadrice sur l’action armée trouve sans doute sa logique dans son titre ; cet « ennemi inconnu », mais infiniment plus évolué, que l’on doit combattre avec les moyens du bord. Comme dans tout bon jeu de stratégie, l’armée ennemie croît au fil des missions et se fend de nouvelles unités, de plus en plus coriaces. L’espionnage technologique se pose alors comme seul facteur de sauvegarde de l’Humanité, toujours en quête désespérée de plus de sophistication. Encore une fois, l’action sur le terrain a ses répercussions : la collecte d’infos et d’armes ramassées sur les cadavres ennemies n’est possible que si l’on redouble de prudence chirurgicale, la moindre explosion de grenade ou roquette employée aveuglément (ou sous le coup de la panique) pouvant annuler toute chance de pillage. L’idée a l’air d’un détail mineur mais elle dessine une courbe de progression identique à celle que Civilization met en scène dans son évolutionnisme des peuples. La recette pour vaincre un ennemi ne se situe pas forcément dans la force ou la rapidité d’une frappe expéditive (comme le ferait un Starcraft), mais dans la patience d’un long terme, à force d’étude des particularismes adverses. Pour preuve : les dernières technologies disponibles (jetpack, armure caméléon, pouvoirs psy) transforment définitivement les unités humaines en clones des extraterrestres. A force de mimétisme, les soldats ont perdu leur dernière trace d’humanité. La stratégie de guerre selon Firaxis est identitaire : pour vaincre l’unknown enemy, il faut supprimer ce facteur unknown et devenir l’Autre. L’alien est l’être à abattre, mais surtout à imiter pour évoluer. Pour ressusciter le Petit-gris et revenir sur le devant de la scène stratégique, il ne fallait finalement qu’un festin darwinien, étalé sur une vingtaine d’heures. Equation gagnante : XCOM éclipse tous ses concurrents, comme au bon vieux temps.