Depuis la sortie de Limbo en 2010, quelque chose a changé et s’est peut-être même libéré dans le monde du jeu vidéo indépendant. Le titre de Playdead rappelait alors en quelques nuances de noir et de gris qu’un vrai concept vidéoludique n’a pas besoin de prouesses techniques pour briller et captiver les joueurs. Que le sens émerge parfois du néant, du silence. Fort de ce constat, de nombreux artistes reprenaient le chemin des studios avec allant, créant dans la foulée The Unfinished Swan et autres Escape Plan. C’est dans ce sillage que les trois fondateurs d’OSome Studio ont imaginé White Night. Formellement, l’écrin ressemble à s’y méprendre à certains segments du film collectif Peur(s) du noir, auquel participait en 2008 un certain Charles Burns. Même façon de se servir du noir comme d’un révélateur, même travail sur les animations… À la manière des cinéastes expressionnistes, l’idée semble être de montrer comment la lumière née de l’obscurité. Pas de doute : le résultat est saisissant et fonctionne à merveille.

Tout débute donc sur une route de campagne des États-Unis dans les années 1930. Une silhouette surgie de nulle part traverse la chaussée et nous fait perdre le contrôle du véhicule. Le joueur dirige alors un homme vacillant dans l’obscurité, quelque part aux abords d’une imposante maison familiale : celle des Vesper. La survie tient dès lors dans une boîte d’allumettes. En substance, ce survival horror made in France ne prétend pas réinventer la roue. Mais il compile avec un soin et une allégeance appliqués tout ce que le genre a apporté de mieux au jeu vidéo horrifique. À commencer par les mécanismes de son père fondateur : le sacro saint Alone in the Dark, repris ici littéralement (le jeu a même été adoubé par Raynal, son créateur). Manoir mystérieux à explorer de fond en comble, présences démoniaques, énigmes, découpage en plans fixes… les composantes sont éculées et n’ont plus rien à prouver. Tout bon vieux routard s’étant un jour essayé aux premiers Resident Evil débarque donc en terrain connu. À la différence qu’il n’est jamais question de combattre frontalement les ennemis l’arme au poing, mais de les faire disparaître grâce à la lumière – un peu à la manière d’Alan Wake. Consciemment ou non, le premier bébé d’OSome Studio emprunte ainsi de nombreux motifs à ses aînés. Parmi les plus évocateurs : la boîte à musique et le buste de mannequin typiques de Silent Hill 2, ou encore Selena, entité spectrale façon Yorda dans Ico. De la douceur dans un monde de brutes.

Mais White Night n’est pas seulement un best of du jeu vidéo d’horreur. C’est aussi un titre multipliant les analogies au cinéma et à la littérature. Outre l’évidence de la demeure singeant le manoir Bates (Psychose), l’histoire brasse le Dahlia noir, les thématiques d’Edgar Allan Poe et Lovecraft. La mise en scène, la musique… tout est pour le reste prétexte à l’évocation du cinéma. C’est par exemple cet écran Game over arborant un visuel à la Saul Bass période L’Homme au bras d’or. Ou ces allusions à Katharine Hepburn, Marlène Dietrich et autres femmes fatales de l’âge d’or hollywoodien. Lorgnant davantage sur le Robert Mitchum de Out of the Past que sur le Humphrey Bogart de The Big Sleep, le personnage incarné par le joueur est quant à lui un archétype du film noir. Couvre-chef, costume, regard désabusé sur le monde : tout y est, rien ne manque. Ses complaintes intérieures ne sont pas sans évoquer aussi, la chromatique générale aidant, les voix off de Max Payne ou Sin City. White Night partage d’ailleurs avec l’œuvre de Miller une même vision de l’Amérique post crise financière, ici hantée par la lame de fond de 1929.

On pourra alors reprocher au jeu ses déplacements parfois laborieux, ou ses textures un brin dépassées. Mais ce manque de finitions et d’équilibre n’altère en aucun cas l’expérience. Mieux : il contribue au caractère insaisissable de l’œuvre. Lui adjoint de ces fragilités auxquelles on repense avec nostalgie quelques années plus tard. C’est pourquoi l’on pardonne aussi ces séquences fonctionnant sur le mode de la progression par l’échec. De même que cette fin des plus prévisibles.

Gavé de références, White Night risquait l’implosion. Pourtant, sa qualité d’écriture le garde de nombreux écueils. Polyphonique, la narration compose en effet un canevas haletant malgré un corpus dense. À ce titre, toutes sortes de supports sont exploités pour amener le récit : les digressions du protagoniste, des lettres, des journaux intimes ou encore des coupures de presse. Autant de bribes pétries de détails cruciaux pour saisir chaque nuance des personnages, dont seules persistent les correspondances. Cet assemblage de haute volée suppose un minimum de patience de la part du joueur. Il doit prendre le temps de lire, d’écouter, de sentir. Sans doute peut-on discuter son manque de spontanéité, et dans le fond, d’originalité. Toutefois, il serait dommage de refuser cette proposition tant le survival horror à l’ancienne manque aujourd’hui de souffle. N’en déplaise à Capcom, ses rééditions réchauffées et ses titres en kit.