Les puristes vont faire la gueule. L’équipe de Cavedog, qu’on connaissait plus ambitieuse, a clairement choisi la voie de la rentabilité à tout prix. Un seul et unique objectif semble-t-il : provoquer et malmener Blizzard quitte à grossièrement repomper quelques bonnes trouvailles qui ont fait le succès public et ludique de Warcraft et Starcraft. La variété des unités par peuplade, la simplification du processus de développement des armées… TA Kingdoms est bien moins complexe que son futuriste aîné. Mais il y a moins finaud encore : l’un commence par le médiéval fantastique pour s’attaquer ensuite à la SF quand l’autre fait exactement l’inverse -à croire qu’il n’y a qu’en ces mondes archi-exploités de partout que le genre stratégie temps réel trouve son intérêt ! Trop facile…
A ce petit jeu du « faire pareil », c’est la création qu’on limite et l’originalité qui trinque. N’empêche, on peut bien fustiger les pratiques peu salutaires de l’un ou de l’autre, si TA Kingdoms n’a rien de surprenant, pour autant, il se laisse jouer le bougre !

Cavedog a au moins le mérite d’avoir planché sur un scénario fort respectable. Le mage-empereur Garacaïus avait enfin réussi à ramener la paix dans le monde dévasté de Darien. Trop âgé pour entreprendre sa reconstruction, le bonhomme décide de laisser cette lourde tâche à ses rejetons. Pour se faire, il lègue à chacun d’eux l’une des quatre provinces du monde. A Elsan, le plus ouvert et juste d’entre eux, la région d’Aramon ; à la plus jeune de ses filles, Kirenna, magicienne des mers, les îles de Veruna ; à Thirsha la chasseresse les terres de Zhon ; et à Lokken le pernicieux la province troublée de Taros. Grave erreur stratégique en vérité : dès la disparition de Garacaïus, les divergences fratricides se multiplièrent… jusqu’à la guerre ouverte et déclarée. Elsan et Kirenna, les gentils tout plein, s’allient pour défendre leurs terres tandis que Thirsha et Lokken, les vilains pas beaux, complotent tantôt seuls, tantôt ensemble pour renverser les provinces de Darien qui échappent encore à leur contrôle. Certes, on n’a pas totalement affaire à des races différentes, mais la magie et le fantastique régissant ce monde se sont chargés de bien distinguer les peuples. Vous allez voir tout ça dans le détail puisqu’il s’agit, dans la campagne, de prendre le commandement, à tour de rôle, des uns et des autres. Le choix de Cavedog peut dérouter le joueur qui regrettera dans un premier temps de ne pouvoir s’identifier à une seule et même force tout au long de l’histoire. Or, à l’usage, il s’avère que cette décision constitue probablement l’idée la plus intéressante de TA Kingdoms. En incarnant tous les protagonistes on vit l’histoire de tous les côtés, et l’immersion dans le scénario du jeu est finalement bien plus forte. Par ailleurs, la découverte des nouvelles unités est plus lente, ce qui rallonge sensiblement la durée de vie du jeu.

Mais c’est pour mieux noyer le poisson diront certains ! Car des unités justement, TA Kingdoms en compte nettement moins que son prédécesseur. Il est clair, en revanche, qu’un soin particulier a été apporté sur chacune d’elle et l’on ne pourra plus reprocher aux armées de compter des unités trop similaires, aussi bien dans la forme que dans les fonctionnalités. Voyons : sans doute Taros est-il le peuple le plus intéressant. Lokken, maître du feu, compte dans ses rangs d’impressionnants énergumènes tout droit sortis de l’enfer (persécuteurs, arachnausées, liches, génies noir… et cet étonnant transmuté de Belial qui invoque en pagaille des tempêtes de feu dévastatrices !). Chez Zhon, ça ne paye pas de mine à première vue, mais il faudra se méfier des apparences car Thirsha, spécialiste des invocations et maîtresse des airs, a pour elle toute une gamme de combattants mi-hommes mi-bêtes qu’il sera assez difficile de déloger. Comme ces harpies charmeuses qui parviennent aisément à retourner leurs adversaires contre leur propre camp… Plus classiques sont les unités d’Aramon. En digne représentant de la terre, Elsan dresse fièrement ses armées de chevaliers moyenâgeux, d’assassins et d’acolytes -ces derniers soignent toutes les unités du même bord qui se trouvent à leurs côtés. Quant à Verunas, peuple des mers dirigé par Kirenna, question flotte et navires, faut pas lui chercher des noises…

Il convient de faire bon usage des spécificités de chaque type d’unité : les archers sont idéals pour défendre l’entrée d’une forteresse (construisez des portes, des murailles et des tours de garde pour ralentir la progression de l’envahisseur) ou briser à distance, et en grand nombre, quelques bâtiments stratégiques ennemis. C’est sur eux qu’il faudra notamment compter pour assainir les airs pollués de créatures volantes. Gaffe à ne pas les laisser agir seul car personne n’est aussi vulnérable au corps à corps qu’un archer. Prévoyez quelques escouades de soldats spécialisés dans l’attaque brutale et frontale. Et puis ceux-ci sont indispensables pour investir les campements adverses et finir le travail. Les destructions massives étant bien souvent assurées au préalable par les unités volantes : en groupe, aigles, griffons, mouettes de feu, becs-de-fer, ptérosaurus ou dragons font effectivement très peu de cas des fortifications et des bâtiments.
Hélas, un défaut majeur ébranle ce joli tableau : la lenteur du jeu. Tout dépendra bien évidemment de la puissance du micro mais il semble que même les mieux équipés (PII 300 par exemple) n’échappent pas aux incessants ralentissements de l’action lorsque l’on dépasse la dizaine d’unités présentes à l’écran. Parfois, ça cafouille tellement qu’il devient tout bonnement illusoire de contrôler la situation. Ca rame à mort ! Pénible.

L’IA faisait sans aucun doute la force de TA, premier du nom. Il en va naturellement de même pour cette suite : les unités que l’on ne contrôle pas sont assez réactives, d’autant plus qu’on peut privilégier une forme de réaction pour chacune d’elles parmi 3 sortes de comportements plus ou moins agressifs. Quant aux ennemis, ils ne manqueront pas d’arpenter les chemins les moins gardés, parfois même les plus étriqués, pour atteindre le cœur de vos campements, là où ça fait mal.
Le choix de simplifier radicalement les choses s’applique également ici aux ressources… à l’unique ressource en vérité : puisque tout dépend dorénavant de la magie, c’est la mana qui régie le monde. On l’a puise à l’aide de manatites, sorte de stèles cristallines érigées sur des plaques de marbre. Plus vous en possédez, plus le stock de mana se remplit et plus vite vos mages construisent et vos bâtiments produisent d’unités. Sans elles, on ne fait pas long feu sur les terres de Darien ; la règle vaut d’ailleurs tout aussi bien pour l’adversaire… Une manière efficace de ralentir ou de stopper net son évolution. Dans le genre radical, notez bien qu’à l’instar de TA avec le commandeur, l’anéantissement du monarque -dont la présence sur le terrain n’est pas systématique mais fréquente tout de même- est fatal.

Visuellement parlant, TA Kingdoms est encore plus joli que son prédécesseur, plus fin et plus détaillé (il faut voir les lances, les flèches et les pierres traverser l’écran, c’est assez époustouflant). Les décors sont variés et l’on distingue bien le nivellement du terrain, toujours un facteur à prendre en compte dans la défense et l’attaque. Les 48 missions sont toutes entrecoupées de séquences cinématiques narratives et particulièrement explicites quant à la situation (la VF est remarquable). Rien à dire non plus s’agissant des sons et de la musique qui collent à l’aise au contexte du jeu.
Notons qu’outre le mode campagne (« Seul contre le sort »), le jeu propose l' »Escarmouche » -partie simple contre l’ordinateur- et le jeu en réseau (« Défier d’autres humains » -jusqu’à 8 joueurs en simultané), bien entendu. TA Kingdoms, c’est certain, sera à l’origine de biens des émeutes online sur Boneyards.

Bon jeu certes, mais au final, force est de constater que Cavedog se contente de peu. Ce qui n’est pas forcément le cas des joueurs… Maintenant que Blizzard et Cavedog sont quittes, espérons qu’une prochaine réalisation redonne du souffle au genre qui commence tout de même à rancir doucettement.