Le problème avec les révolutions programmées, c’est qu’elles ne peuvent plus naître de la nécessité de ceux qui devraient les vivre. Vendu ainsi comme celui qui allait tout changer dans le cercle très joué du FPS multijoueurs, Titanfall a forcément omis le paramètre essentiel de son plan de communication : pour que révolution il y ait, celle-ci doit aussi surgir de la communauté. En attendant de savoir si le marketing aura eu raison des habitudes des joueurs de Call of, Battlefield et autres Counter Strike ou Team Fortress, reste une proposition de jeu dont la fraicheur est indiscutable. Voulu, sinon préparé, comme une revanche de ses créateurs sur le genre (Jason West et Vince Zampella, éjectés de leur studio Infinity Ward à la tête du blobkuster Modern Warfare), Titanfall a indéniablement un argument souverain dans sa poche : rendre au FPS ses vertus démocratiques.

Populaire, fédérateur et à la fois ultra spécialisé, le FPS multi est devenu un champ de bataille réservé pour une élite de joueurs dont il faut patiemment gravir les échelons. On pourra toujours objecter que la victoire se mérite et que le skill, c’est comme l’intelligence, si certains sont nés avec des aptitudes, généralement ça s’acquiert. Avec Titanfall, Respawn balaie pourtant tout ça d’une pichenette et remet les compteurs à zéro. C’est la première leçon donné par le jeu : sans dégommer les acquis des vieux routards du FPS, le jeu offre un rééquilibrage des compétences et donc de l’expérience. On entre dans son univers générique fait de SF militariste et de méchas stylisés comme dans une nouvelle démocratie du FPS où l’apprenti sera lui aussi récompensé pour sa participation. C’est même l’argument poids lourds du jeu, tolérer l’inexpérience et lui donner les moyens d’acquérir des récompenses afin que quiconque se sente intégré. Dans la perspective du joueur pro, cette démarche est souvent considéré avec méfiance et comme une probable régression du genre, sur la subtilité de ses possibles, des mécaniques, la rétribution sur l’apprentissage etc. Dans les faits, elle redonne indéniablement de l’eau au moulin par une politique de la jouissance immédiate et non exclusive qui, malgré les apparences, n’empêche en rien une progression de l’expérience.

Cette remise à plat repose avant tout sur le changement de rythme, déjà décrit partout comme l’atout clé du jeu. Une mise sous tension constante, turbine motrice qui propulse Titanfall tel un Vanquish colorié aux couleurs de Mirror’s Edge vers un gameplay d’une souplesse hallucinante. Cette nouvelle gravité du genre lui permet d’opérer une véritable évolution de l’espace qui, en combinaison avec ses airs de gruyère tactique permanent, génère une approche super rapide et constamment renouvelée des cartes. Leur complexité combinée à cette célérité obligeant un jeu jamais statique (y compris aux commandes des méchas), les choix stratégiques habituels se retrouvent mis à défaut, et ainsi l’expérience des joueurs rééquilibrée sans pour autant négliger complètement la courbe d’apprentissage – il en faudra du temps ne serait-ce que pour mémoriser toutes les maps, et rien n’empêche au meilleur tireur de finir sur le podium. Si on peut craindre face à d’autres limites du jeu (ses modes hyper classiques, ses customisations limitées), il est en revanche pour l’instant plus difficile d’anticiper où va se situer la réelle barrière dans l’investissement des joueurs sur la durée. En l’état, le jeu génère à chaque nouvelle partie un même shoot d’adrénaline et des parties qui ne se ressemblent pas. Le seul danger, finalement, est de savoir si à force de frénésie permanente on ne finira pas par en demander encore plus. Tels sont aussi les dangers de l’ivresse, même quand elle est si bien maitrisée. En attendant, l’extase est certaine, la démocratie parfaite, et dans le cadre si usé du genre, il ne manque pas grand chose pour définitivement le dépoussiérer.