La publicité de Phantom hourglass ne nous promet pas des donjons mystérieux, des monstres terrifiants, une grande aventure ou une jolie princesse à sauver. Elle ne joue pas le teaser cinématique, le dessin animé exotique ou la superproduction tonitruante option Peter Jackson. Non, la pub de Phantom hourglass se contente de montrer le stylet tenu par le joueur, terrible figure divine descendue du ciel, tandis qu’il dessine la trajectoire du boomerang de Link pour activer un interrupteur. Une approche sommaire, quasi-minimaliste, qui reflète parfaitement les obsessions de la firme pour l’interface et se fait l’écho des directives données par Eiji Aonuma au cours du développement de Phantom hourglass : « interdiction d’utiliser les boutons ! ». Au moins, nous voilà fixés. Après avoir éclaté les formats narratifs avec Majora’s mask, après avoir célébré la poésie du voyage en solitaire avec Wind waker et cramé des millions de yens et des dizaines de designers dans Twilight princess, remake malade d’Ocarina of time, Eiji Aonuma repousse les frontières du jeu vidéo et livre un dernier combat face à son ennemi juré : le bouton. Ça a l’air dérisoire, dit comme ça, mais ça lui réussit plutôt bien. Phantom hourglass est un Zelda modeste, d’une politesse impeccable, dont tous les efforts vont dans le sens du joueur et de l’écran tactile. Il est le meilleur ami des commuters, le super copain des salles d’attente. Son découpage est parfaitement adapté au format portable et chaque section du jeu, qu’il s’agisse d’une interlude narratif ou d’un donjon, peut être effectuée en une demi-heure. Mais cette médecine douce a un prix : soucieux de ne pas reproduire les erreurs de Wind waker (aire de jeu gigantesque mais inégalement exploitée), Phantom hourglass décide de faire tout le contraire, au risque de s’éloigner de la culture du secret qui a forgé la série.

On avait quitté Link égaré au milieu d’une mer gigantesque. On le retrouve barbotant dans un océan de poche, terreur des canards en plastique, mathurin de baignoire. Contrairement à Wind waker, la navigation dans Phantom houglass n’est pas une activité méditative : elle se veut ludique, distrayante, accaparante presque. Les distances ont été raccourcies, les dimensions rabôtées. Un système de téléporteurs exhaustif permet de rejoindre n’importe quel point de la carte en moins de deux minutes. La traversée n’est plus très longue, seulement mouvementée : il ne passe pas une minute sans qu’un ennemi surgisse à l’horizon. Les îles cachées occupent des emplacements évidents et le plus piètre observateur n’aura aucun mal à les découvrir dès sa première traversée d’une région. Le monde de Phantom hourglass est rond et plein, d’un niveau de finition exceptionnel, mais il décevra ceux qui voulaient s’y perdre. Les sous quêtes y sont évidentes, les secrets trop rares. C’est un univers où il y a toujours quelque chose à faire mais jamais rien à découvrir, un monde en proie à une terrible peur du vide.

Nintendo a prouvé avec la Tour de l’aigle de Link’s awakening qu’un donjon sur portable pouvait rivaliser d’ambition avec ses homologues sur console de salon. Cet épisode, pour sa part, se contente d’édifices de quelques étages, petits parcours de santé à la construction horizontale. Les donjons de Phantom hourglass ne nécessitent pas d’être apprivoisés, appréhendés dans leur globalité : la réponse à une énigme donnée n’est jamais à plus d’un écran de Link et nos capacités d’orientation et de décryptage sont rarement mises à l’épreuve. Seule audace au milieu de cet océan d’easy gaming : le temple principal, à parcourir en temps limité. Une phase plutôt corsée, nourrie à l’infiltration Pac Man, que Link devra s’enquiller un bon paquet de fois durant l’aventure. La bonne nouvelle, c’est que les objets récupérés entre deux visites donnent accès à de nombreux raccourcis qui émoussent l’impression de déjà vu. La mauvaise, c’est que la qualité de l’exécution ne parvient pas à évacuer la frustration et la lassitude ressenties lorsque l’on visite l’édifice pour la troisième ou quatrième fois. Au bout du compte, c’est la force des objets de cet épisode et le talent d’EAD pour renouveler leurs mécaniques qui sauve les donjons de l’insignifiance. Transcendés par l’écran tactile, leur implémentation exemplaire arrachera de larges sourires aux plus blasés des vétérans. Associés à l’inventivité des combats de boss, presque tous fondés sur une idée lumineuse, ils parviennent à contrebalancer la simplicité décevante des palais.

Phantom hourglass est, de loin, l’expérience tactile la plus convaincante sur Nintendo DS. Le jeu regorge d’idées, souvent flamboyantes, mais l’intelligence des concepteurs est également visible dans des choix mineurs. L’utilisation du maillet, par exemple, n’est pas liée au corps physique de Link. Celui-ci peut être activé à n’importe quel endroit de l’écran tactile. Ce choix effectué au mépris de toute vraisemblance libère le potentiel de l’objet. Qu’il s’agisse de tracer des droites en fonction de certains éléments du décor ou de griffonner un symbole en prévision d’une énigme à venir, la prise de note est toujours rafraîchissante. Ingénieux, abouti, Phantom hourglass n’a certes pas la carrure d’un Zelda épique. Il ne possède ni le souffle du dépaysant Wind waker, ni la force des donjons de Twilight princess. Ceux qui ne vivent que pour l’épopée, ceux qui attendent un Nintendo virtuose, jouant de la démesure, ceux-là pourraient être déçus. Phantom hourglass brille en Zelda docile, en jeu domestiqué, facile à vivre, qui ne demande pas qu’on le comprenne ou qu’on l’apprivoise.