Plus on s’impose de défis et plus on a de chances de se planter. C’est la menace (fantôme ?) qui pesait au-dessus de la tête de Bioware lorsqu’il a accepté de sortir de son train-train RPG heroic-fantasy pour relever les trois challenges inhérents à la création de ce Knights of the old republic (KOTOR pour les intimes). Soit donner à la mythique saga de George Lucas un dérivatif vidéoludique digne de ce nom ; synthétiser les philosophies contradictoires du RPG PC et du RPG console ; parvenir enfin à laisser au joueur la possibilité d’emprunter la voie d’un saint hiératique ou celle d’une ordure finie sans être pénalisé par son choix. KOTOR était donc un projet hautement ambitieux, et franchement risqué, qu’on attendait de pied ferme. Le résultat n’est malheureusement pas tout à fait à la hauteur de nos attentes.

Là où Bioware a complètement réussi son pari, c’est au niveau de la liberté offerte au joueur de choisir son destin entre le Bien et le Mal. Chaque action, chaque phrase prononcée a des conséquences directes sur l’alignement du personnage qu’on choisit d’incarner, à travers l’attribution de points d’obscurité ou de points lumineux. Evidemment, Bioware n’a pas toujours fait dans la subtilité et on comprend très rapidement quel genre d’action conduit vers l’obscurité, la lumière, voire la neutralité. Insultez, massacrez puis pillez une famille innocente, flirtez avec la pire engeance de la galaxie, léchez les bottes des dirigeants de l’Académie Sith et votre personnage finira tôt ou tard par arborer le visage blafard et les yeux globuleux caractéristiques du Jedi déchu. Respectez vos maîtres Jedi, défendez les faibles et refusez l’argent qu’on vous propose pour vous acquitter de certaines quêtes et vous conserverez votre tête de trou-du-cul coincé tout au long du jeu. La voie lumineuse est plus riche en points d’expérience, et la voix obscure vous permettra d’amasser un plus gros pactole, le choix est forcément cornélien, et pose souvent de douloureux cas de conscience. Mais contrairement à des jeux soi-disant libertaires comme Morrowind, c’est le scénario qui s’adaptera à vos envies et pas l’inverse. Les modifications induites par l’alignement du héros sont légères et suffisamment malignes pour ne pas imposer aux développeurs trop d’embranchements au sein du script, mais elles existent réellement. Et ceux qui pensent, comme nous, que Star wars n’est intéressant que lorsqu’il se penche vers son côté obscur vont indubitablement prendre leur pied à incarner un futur Sith flamboyant dans sa bure noire comme l’ébène, armé d’un double sabre laser rouge vif franchement classieux.

Arrachant la saga Star wars de la malédiction des adaptations vidéoludiques médiocres, Bioware est aussi parvenu à retranscrire sans trop de casse l’univers de George Lucas. KOTOR privilégie sans doute un peu plus la première trilogie, moins controversée, en conservant un peu l’aspect cheap des aventures de Luke Skywalker au détriment des enluminures parfois surchargées de la déchéance du futur Dark Vador. Le hic, c’est que KOTOR est censé prendre place 4000 ans avant la première trilogie et qu’on ne ressent jamais le décalage esthétique nécessaire à un tel bond dans le passé. A croire que la galaxie de Lucas n’évolue jamais, prise au piège d’un immobilisme quasi moyenâgeux s’étalant sur plusieurs millénaires. Les fans seront sans doute ravis de se retrouver en terrain familier. Les autres regretteront un manque d’invention flagrant et cette carence esthétique caractéristique des productions PC. Malgré l’indéniable richesse du background qui rend KOTOR si fascinant… Du moins pendant les premières heures de jeu.

Bioware n’a en effet pas été en mesure de tenir toutes ses promesses sur la longueur. Qu’on ne se méprenne pas : KOTOR est un bon RPG, le meilleur sur Xbox faute de véritables concurrents. Mais sa philosophie bâtarde, synthétique, finit par lui jouer des tours. Moins ouvert qu’un Morrowind, mais aussi moins scripté qu’un Final fantasy, KOTOR se contente finalement de reprendre le canevas ultra-classique du RPG pour consoleux. Remplacez les inévitables cristaux élémentaires par des morceaux de carte menant à une mystérieuse Forge Stellaire et le tour est joué. Certes, on peut visiter les différentes planètes dans l’ordre choisi -une fois les deux premières torchées. Mais ça ne modifie finalement que très superficiellement le déroulement de l’histoire. De plus, les différents niveaux sont de qualité très inégale. Si la mégalopole géante de Taris, les clairières crépusculaires de Dantooine ou les ruines flamboyantes de Korriban apportent leurs lots d’aventures fascinantes, avouons qu’on s’est un peu ennuyé sur Tatooine -passage désertique obligé de tout Star wars qui se respecte- et sur Manaan, monde océanique plombé par la neutralité de ses habitants. Difficile aussi de se défaire de cette désagréable impression de « trois-pièces-cuisine » qui se dégage des planètes visitées. Pas assez vastes, pas assez riches en quêtes annexes, les planètes de KOTOR montrent très vite leurs limites. D’autant que la réalisation en demi-teinte et la localisation catastrophique nuisent grandement à l’immersion. Produit hybride destiné à réconcilier PC et console, KOTOR sous-exploite clairement les possibilités de la Xbox. Ca rame, ça bugue, ça n’est pas toujours très beau à regarder. Et surtout ça charge bien trop souvent et bien trop longuement, ce qui coupe irrémédiablement l’envie de se taper d’interminables allers-retours pour s’acquitter de quêtes annexes pas toujours convaincantes. C’est frustrant, forcément, parce que le jeu aurait mérité un peu plus de soin pour ne pas provoquer une certaine lassitude sur la longueur. KOTOR a sans doute été un peu surestimé parce qu’il constitue une des rares tentatives plus ou moins réussies d’adapter les trilogies Star wars en jeu vidéo. C’est oublier bien vite qu’handicapé par une réalisation sans génie, un game-design trop pépère et un manque flagrant de finition, le RPG de Bioware n’est finalement qu’un embryon de chef-d’oeuvre.