La spécificité du cliché est de fonctionner de façon automne en étant déjà chargé de sa propre histoire et de ses codes. Dans le cinéma, son utilisation est souvent une forme de paresse. Dans le jeu vidéo, c’est souvent un moyen de gagner du temps. Ainsi, Space Run parvient à présenter son univers en quelques minutes grâce à un cliché très estampillé 80’s : celui du baroudeur de l’espace, le mercenaire faussement arriviste prêt à accepter n’importe quel boulot pour de l’argent, le contrebandier désabusé qui cache ses idéaux et son romantisme derrière son ironie. Autrement dit : Han Solo, ici un super pilote chargé de faire des livraisons d’un bout à l’autre de l’espace dans un décor de Space Opera kitchouille. Et c’est précisément de cette ringardise, de cet environnement SF bariolé vu et revu, dont on saisit instantanément le moindre enjeu, que Space Run nourrit son gameplay. C’est par une connivence intime et toute culturelle que le joueur s’y retrouve et sait ce qu’il a à faire. Le cliché ne sert pas seulement à planter un décor, il est aussi un repère qui indique la démarche à suivre, un substitut du mode d’emploi.

Il faut avouer cependant que la tâche est des plus simplistes, puisqu’il s’agit de transporter de la marchandise (ou autres) d’un point A à un point B et de la protéger pendant le trajet. Mais le joueur ne conduit pas l’engin spatial, il veille plutôt à son bon fonctionnement, il l’optimise et le répare. Plutôt un mécanicien qu’un pilote, qui a pour charge de s’occuper du déroulement du voyage. Pour cela, il faut jongler entre trois paramètres : la protection (boucliers électro-magnétique), l’attaque (lasers et lances-missiles) et la vitesse (propulseurs) qui doivent s’accommoder des surfaces variables de la navette (tout en alvéoles composites) en fonction des différentes missions. On l’aura compris, Space Run est une variation du Tower Defense dont la particularité ici est d’être en mouvement puisqu’il faut parcourir une distance déterminée. Et dans l’espace qui dit distance, dit temps. C’est donc la gestion du temps qu’il faut prendre en compte, avec en son centre un équilibrage crucial qui en fait toute la saveur, entre foncer tête baissée à travers les obstacles en serrant les fesses ou en vitesse de croisière pour mieux affronter le danger. C’est ce qui alimente la dimension crafting du jeu : en détruisant obstacles et ennemis (astéroïdes ou vaisseaux pirates) on récolte des détritus qui permettent de construire plus rapidement un arsenal et donc de mieux se défendre.

Seulement voilà, le jeu tombe en plein paradoxe spatio-temporel : il fait du surplace malgré la trajectoire en ligne droite qu’il a cru bon d’ajouter aux mécaniques usuelles du Tower Defense. Cette dernière n’est qu’un trompe l’œil, un chronomètre visuel, elle donne l’illusion du mouvement mais ne fait en réalité pas bouger grand chose. L’efficacité de son système de jeu, sa facilité d’accès et les stratégies assez retorses qu’il exige par moment font de Space Run un jeu indéniablement sympathique et éminemment addictif. Mais à force de déployer tant d’efforts pour si peu d’innovation, et en dépit de son leitmotiv, il ne transporte le joueur nulle part. Derrière l’habillage de science fiction rétro, la vacuité des missions finit par se faire ressentir. C’est toute la limite du cliché : ce qu’il gagne en efficacité instantanée et en vitesse d’exécution, il le perd en possibilité de projection et en fantasmagorie. Il agit comme un trou noir dont le champ gravitationnel empêche le moindre rayonnement.