Souvenez-vous, c’était un millier d’années plus tôt. Kain, l’infortuné chevalier assassiné par traîtrise et ressuscité sous la forme d’un vampire, parvenait à se venger de tout le beau monde qui l’avait manipulé et s’intronisait Seigneur de Nosgoth, demi-dieu tyrannique. Accompagné de ses six lieutenants, Kain va réduire l’humanité en esclavage et régner sans partage sur Nosgoth. Jusqu’au jour où l’un de ses mignons, Raziel, a l’outrecuidance de muter avant lui. Une belle paire d’ailes en guise de provoc’ et Raziel se retrouve plongé dans le lac des morts pour mille années de souffrance. Recueilli par un Ancien Dieu, notre pauvre vampire perd définitivement son statut de suceur de globules pour celui de dévoreur d’âmes -d’où le titre. L’heure de la vengeance a sonné pour Raziel, qui compte bien régler son compte à son ancien seigneur et maître.
Inutile de le préciser, Soul reaver est la suite de Blood omen, premier opus de la saga Legacy of Kain. Eidos, le dévoreur de bons coups, récupère le projet, et Crystal Dynamics dépossède Silicon Knights de l’univers teuton-gothique de Nosgoth. Exit le Zelda-like RPG en 2D -trop obsolète- et retour sur un genre qui a fait la fortune d’Eidos : l’aventure-action en 3D à la sauce Lara Croft, la pin-up des bagnoles Seat.

Première constatation : c’est somptueux. Le moteur 3D est un des plus impressionnants jamais vus sur PlayStation. Textures délicates, clipping soigneusement masqué par un léger brouillard, festival de couleurs et de lumières, pixellisation minimale. Certes, il n’y a pas pléthores de détails -logique, dans un monde dévasté- et on constate de temps en temps quelques ralentissements, mais c’est le prix à payer pour un tel régal des yeux.
Deuxième constatation : votre personnage est vraiment très laid. « Plutôt mourir que de ressembler à ça », dit-il dans un éclair de lucidité. Malgré sa dégaine de clodo, Raziel bouge bien, peut planer grâce à ce qui lui reste d’ailes, et a une manière particulièrement funky de déplacer les blocs de pierre. Si le maniement peut de prime abord paraître inhabituel et délicat pour les habitués de Resident evil et de Silent hill que nous sommes, on prend rapidement ses marques grâce à un premier niveau destiné à vous familiariser avec les nombreuses possibilités d’actions et de mouvements.

Enfin, malgré le côté vaguement opportuniste du passage en 3D, Soul reaver offre suffisamment d’innovations pour prétendre au titre de Tomb raider killer. Sachez-le, la plupart de vos ennemis sont des vampires, donc des immortels. Il ne suffit donc pas de bastonner à tours de bras comme un vulgaire Quake-trooper pour se débarrasser des vilains, il faut aussi un peu de jugeote. Une fois l’adversaire sonné, il faut très rapidement l’empêcher de revenir vous taquiner. Au menu des destructions définitives : empalement, brûlure par le feu, plongeon dans une étendue aquatique ou exposition aux rayons du soleil. Un peu de coordination et de stratégie se révèlent vite nécessaires pour nettoyer votre parcours, surtout lorsque vous devez combattre plusieurs adversaires à la fois. Idem en ce qui concerne la plupart des boss, eux aussi quasi indestructibles, à moins d’utiliser certains éléments du décor pour les réduire en bouillie.
Une autre trouvaille de taille : le passage d’un monde réel vers un monde spectral. Chaque lieu, chaque pièce existe dans ces deux dimensions. Pour résoudre la plupart des énigmes, il vous faudra jongler entre ces deux plans, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients. La Sphère matérielle vous permet de manipuler des objets, d’ouvrir les portes, mais vous affaiblit rapidement. La Sphère spectrale vous régénère mais vous interdit d’interagir avec l’environnement. Si on ajoute que la topographie des lieux diffère légèrement dans les deux mondes, on mesure rapidement l’étendue des possibilités d’actions pour résoudre une énigme. Le passage d’une dimension à une autre se fait par un morphing du plus bel effet, qui confirme l’extrême habileté des développeurs à tirer le maximum de la PlayStation.

Soul reaver est donc une bombe nucléaire inattendue, un gros pavé dans la mare tristounette du gotha des jeux vidéos qui voudrait nous faire croire que la PlayStation a fini de nous surprendre. Évidemment, on peut toujours trouver à redire. À l’instar de Gex 3D, des mêmes auteurs, le monde à parcourir est très, très vaste, sans carte, redoutable pour l’apprenti vampire dépourvu du moindre sens d’orientation. Il y a bien un système de portail de téléportation, mais chaque région est représentée par une rune un peu trop absconse et quasiment impossible à mémoriser. Ce qui ne facilite pas vraiment les retours en arrière. On poussera un dernier coup de gueule pour le système de sauvegarde : recommencer systématiquement au début du jeu, reprendre ce satané portail, se retaper une grosse partie du parcours déjà visité, c’est tout de même un peu fastidieux.

Des petits inconvénients qui viennent un peu gâcher le plaisir et empêchent Soul reaver d’accéder à la note suprême. Mais ce second épisode de Legacy of Kain est tellement envoûtant, surprenant et esthétique, qu’on lui pardonnerait presque n’importe quoi.