On aimerait pouvoir le défendre, ce Sacred 3, être de tout cœur avec lui. D’abord parce que le jeu B mérite de la considération, et qu’après tout un beatem up coopératif bien kitsch pour l’été, qui est contre ? Par esprit de contradiction ensuite. Il n’a pas été épargné, le pauvre, et Keen Games qui hérite de la licence orpheline de son premier développeur Ascaron en prend pour son grade. Les fans des premiers volets – il y en a – se sentent trahis : on a transformé leur hacknslash ouvert en un jeu de couloir, on les a privés de loot. Ce n’est pas Sacred, hurlent-ils. Ils n’ont pas tort, mais est-ce la peine d’en faire toute une histoire ? Et puis il y a les journalistes, qui ont compris que Sacred 3 on pouvait y aller gaiement, taper dessus sans vergogne, personne ne dirait rien. Pauvres gars de Keen Games, depuis le temps qu’ils bossent dans l’ombre sur d’obscurs jeux de commande dont pas un ne dépasse le 70 sur Metacritic, pour une fois ils ont l’opportunité de produire quelque chose d’un peu plus visible, et voilà ce que ça leur rapporte. Par chance dans quelques mois tout le monde aura oublié.

Enfin, on voudrait surtout défendre Sacred 3 parce que contrairement à ce qu’on a pu lire, le jeu n’a rien de honteux. Il sait se tenir à sa place, c’est vrai. Propre, carré, limité. Ce n’est pas Diablo III. Mais Diablo III ne se prend-il pas trop au sérieux ? Au moins, Sacred 3 assume la stupidité de son histoire, et l’on soupçonne les doubleurs français de s’être amusés comme des petits fous à lire les lignes volontairement grotesques qu’ils avaient à prononcer. Au reste, à petites doses, Sacred 3 n’est pas totalement dénué de ce je ne sais quoi, le fun. Pour peu qu’on ait l’usage d’un défouloir totalement décérébré, on fait pire. Epuré – certains diront creux –, le jeu élimine beaucoup de scories propres au hack’n’slash, et en un sens ce n’est pas plus mal. Qui a vraiment envie de comparer des heures durant les épées, les casques et les baudriers avant de choisir son équipement ? Foin de tout cela dans Sacred 3, au diable la stratégie, on se contentera de l’action, des bourre-pifs et des vagues de monstres qui explosent. Dans l’esprit le jeu est plus proche d’un Gauntlet que de ses prédécesseurs, et Keen aspire visiblement à rendre la jouabilité la plus arcade possible. Pour la gloire, à la fin de chaque niveau, il y a même un système de score pour ceux qui voudraient montrer qu’ils sont plus adroits que leurs petits camarades.

Après une journée harassante, une bière ou deux dans le nez, c’est assez  confortable. On prend la manette – surtout pas le clavier –, on se connecte, on est rejoint par jusqu’à trois joueurs, et on se tape une catharsis bien méritée, sans embrouille. Dans la pure tradition du jeu d’arcade. Il arrive, de temps à autre, pour peu qu’on joue en mode difficile et avec une équipe complète, que l’intensité de l’action nous arrache un large sourire. Alors on esquive les grosses frappes, on balance l’un des deux pouvoirs qu’on a choisi, ça fait des étincelles, on appuie sur X pour casser un bouclier, on matraque AAA, on place un totem de protection en gloussant, l’écran est comme un papier bulle rempli de bestioles grouillantes qu’on éclate, ça ne va pas trop mal. On oserait presque dire que, dans l’idée, ce traitement du genre nous émoustille un peu plus que la version sentimentale à grosses ficelles façon Bastion.

Seulement il faut bien avouer que durant les quinze heures environ qu’offre la campagne – un nouveau mode de difficulté s’ouvre par la suite, permettant de mener ses personnages au niveau 50 –, on s’ennuie un peu, et que Sacred 3 reste un produit fort dispensable. Parce que le level design se répète, que les adversaires manquent de variété, au point que la machine tourne trop souvent à vide. En resserrant le genre à son essence de défouloir, Keen a oublié de proposer des idées, d’injecter un rien de personnalité ou de défi technique à un jeu qui peine ainsi à se démarquer. Et puis il y a la dure réalité économique, celle qui condamne le jeu B s’il ne parvient pas à proposer quelque chose d’un peu radical. A-t-on vraiment envie de payer 40 euros pour une expérience si éphémère, qu’on oubliera dès la manette posée ? C’est un peu cruel, mais Sacred 3 indiffère. On espère que Keen aura une nouvelle chance, et que le développeur francfortois saura la saisir, car il n’est pas totalement dénué de talent.